Reproduction de Eretmodus marksmithi (ex sp. aff. "Cyanostictus")
Article publié dans la R F C n° 100 Juin 1990

Ecrit en collaboration avec Cédric Bosquin

Réactualisé en janvier 2001.


Encore un nom barbare ? En fait, l'espèce dont il va être question ici est l'Eretmodus bien connu des cichlidophiles, celui importé depuis longtemps du Burundi et commercialisé sous le nom de Eretmodus cyanostictus. En réalité, le vrai cyanostictus est originaire du sud du Tanganyika (La population type vient de Mpulungu) et diffère de celui du Nord qui lui même présente plusieurs variantes géographiques regroupées par Konings sous le nom de Eretmodus sp. "North".
Bien que connu depuis longtemps, ce poisson a toujours été considéré à juste titre comme poisson à problèmes. En effet, sa maintenance, mais surtout son acclimatation et sa reproduction ne sont pas toujours des plus faciles. Ajoutons à cela que sa longévité en aquarium ne semble pas dépasser deux ans, et vous avez une idée de ce qui vous attend avec cette espèce.

Pour la maintenance, la solution peut être trouvée dans l'observation de leur milieu naturel. Cette espèce, ainsi que les autres cichlidés-gobies (Spathodus et Tanganicodus) a colonisé un biotope bien particulier qui est la proche bande côtière peu profonde et garnie de galets. Leur habitat se situe à une profondeur souvent inférieure à un mètre. Or, il ne faut pas considérer le Tanganyika comme une étendue d'eau plate tels les lacs ou les étangs de l'Hexagone, mais bien plus comme une véritable mer intérieure dont les eaux sont agitées par les vents tropicaux, d'où la présence de vagues de dimensions parfois importantes. Nos cichlidés-gobies vivent donc dans des eaux proches saturées en oxygène, à l'instar des espèces rhéophiles que sont les Steatocranus. Leur façon de se déplacer est d'ailleurs tout à fait similaire.

Sachant cela, il convient de munir leur aquarium d'une importante pompe qui provoquera un fort brassage de l'eau, assurant ainsi une oxygénation maximale, la plus proche possible de la saturation. Il est également souhaitable de ne pas les maintenir dans des bacs trop peuplés, de façon qu'il n'y ait pas trop d'oxygène consommé par les autres espèces, mais également parce que, pour être vraiment à leur aise et donc pour se reproduire, les Eretmodus ne doivent pas être dominés et doivent avoir une bonne place dans le bac. D'ailleurs, il est toujours préférable dans un bac que chaque poisson ait non seulement sa place (territoire) mais également la possibilité d'utiliser des parties du décor non occupées. Il est donc important de ne pas vouloir fournir un poisson à chaque trou du décor, les poissons y gagneront en bien-être et l'aquariophile en tranquillité. Sous-peupler un bac est bien souvent la raison du succès. La surpopulation occasionne fréquemment des stress pas toujours faciles à déceler car ils peuvent aller du poisson collé dans un angle du bac (là, il est temps de réagir), jusqu'au poisson qui paraît tout à fait à l'aise mais dont les reproductions échouent.

Pour vous donner une idée, le bac où se trouvaient mes Eretmodus avait une densité de 5 litres d eau par cm de poisson et les autres espèces ont un comportement interspécifique tout à fait satisfaisant. En fait, l'objectif dans tout aquarium doit être d'arriver à ce que j'appellerais l"'équilibre zoologique", c'est-à-dire à des rapports harmonieux entre tous les poissons aussi bien du point de vue intraspécifique qu'interspécifique. Cet équilibre peut être résumé ainsi : pas de poisson trop dominant et surtout pas de poisson trop dominé. Il peut être atteint avec un peu d'expérience mais il est d'une fragilité extrême dans la mesure où il peut être perturbé par l'introduction d'une nouvelle espèce ou parfois d'un seul poisson, voire même par le brusque changement de caractère d'un seul sujet.

Mais revenons aux Eretmodus. Plusieurs fois, j'avais tenté de maintenir cette espèce avec plus ou moins de bonheur, mais sans jamais obtenir de reproduction. Je considère que le problème essentiel est l'acclimatation. Bien souvent, les poissons mouraient dans la première semaine ou dans le premier mois. Passé ce délai, ce sont des poissons assez robustes, bien que leur longévité soit faible. En ce printemps 1989, mon aquarium était très chargé en algues filamenteuses et le besoin d'introduire quelques "tondeuses à gazon" devenait pressant. En raison de la présence d'Ophthalmotilapia, les Tropheus étaient exclus, mon choix se porta donc sur cinq Eretmodus du Burundi dont le prix modique n'est pas un moindre avantage (Cela étant valable il y a dix ans, on "touchait un Eretmodus à 25 f en France et parfois guère plus de 15 f en Belgique !!!!). Certes, ce n'est pas une espèce brillamment colorée, mais c'est un curieux poisson bien attachant. Après une quarantaine réglementaire qui vit la mort d'un spécimen, ils furent placés dans le bac de 700 l où ils purent se nourrir d'algues à volonté et avec efficacité. L'eau de ce bac est très énergiquement filtrée, oxygénée et renouvelée régulièrement, mais elle est également additionnée de "sel Tanganyika" pour maintenir le pH vers 8,5-8,6. Là, j'aborde un sujet controversé : sel ou pas sel ? (Voir pour cela la Maintenance Tanganyika.)

En tous cas, je constate que dans ma région, ceux qui sont le plus catégoriquement anti-sel n'élèvent pas de Cichlidés du Tanganyika. Pour moi, il est une évidence : si le sel est totalement inutile pour la maintenance des espèces courantes, il devient par contre indispensable pour la reproduction de certaines espèces délicates (dont les Eretmodus) voire pour l'acclimatation de sujets sauvages. La nécessité du sel pour la reproduction des cichlidés-gobies fut mise en évidence par le passé (J.-B. Gageot, RFC 38 et 52, Baker, RFC 44). De même, Cédric Bosquin à Rouen, commença à avoir des reproductions à partir du moment où il ajouta du sel Tanganyika vendu dans le commerce (Tropic Marin). Enfin, pour terminer sur ce sujet, j'ai remarqué que le sel utilisé dans les bacs d'élevage, au moins pendant les premières semaines, avait certainement une influence sur la survie des alevins (90 % avec le sel, 30-40 % sans sel), d'autre part, d'après certains chevronnés, le sel a une influence sur la croissance des jeunes de toutes les espèces. Si, après tout ça, vous n'êtes pas convaincus...

Le décor étant posé, venons-en vraiment aux Eretmodus. Mes 4 poissons menaient jusqu'en juillet une vie paisible dans le bac. Progressivement, je me suis rendu compte que j'étais en présence de 3 mâles et une femelle, un mâle étant très dominé. La coloration de ce sujet était alors souvent unie au lieu de rayée. Fin juillet, à mon retour de vacances, la porte à peine ouverte, je me précipitai sur mes bacs pour voir si tout était bien en ordre et, à travers la vitre abondamment couverte d'algues, je constatai avec surprise qu'un mâle Eretmodus présentait une gorge largement distendue. Le lendemain, il lâchait dans un seau 18 alevins, qui furent ensuite placés dans un bac d'élevage. La suite des événements vous est présentée dans le tableau n°1.
 

Tableau n° 1

Date de la ponte
Durée incubation femelle
Incubation totale
mâle + femelle
Nombre d'alevins
vers le 14/07
?
?
18
15/08
11 j
-
5
11/09
11 j
20 j
17
10/10
11 j
24 j
32
9/11
11 j
20 j
? (laissés dans le bac)
13/12
7 j (nettoyage des vitres
a provoqué le lâcher)
   

 
Comme on peut le constater, il y a une très grande régularité dans les pontes (tous les mois), de même le passage des alevins de la femelle au mâle se fait au bout de 11 jours (le cas des poissons de Cédric sera étudié un peu plus loin). Lors de la ponte du 15/8, je n'ai pas attendu cette passation des pouvoirs et j'ai récupéré les alevins dans la gueule maternelle, encore pourvus de leur sac vitellin. Ils périrent en peu de temps. C'est pourquoi j'ai décidé pour la suite de laisser la nature suivre son cours.

La troisième ponte fut également un échec. Tous les alevins disparurent en un mois, ce qui fut mis sur le compte de la surpopulation des bacs d'élevage. Les alevins de la ponte suivante furent donc placés seuls dans un bac ; le résultat fut alors tout à fait satisfaisant. La période propice à la récupération des alevins semble se situer vers le l8ème jour. En effet, contrairement à certaines espèces telles que les Tropheus, les Eretmodus ne semblent pas se nourrir pendant la durée de l'incubation, et lors de récupérations tardives, on constate un certain état de maigreur des alevins. Lors des deux premières semaines d'élevage, un phénomène curieux peut être observé. Au départ, tous les alevins présentent une coloration très sombre puis, au bout de quelques heures, certains deviennent très clairs. Au bout de 2 semaines environ, ils retrouvent tous une coloration uniforme. D'après Konings (Tanganyika Cichlids 1ere éd) si les jeunes sont séparés en fonction de cette coloration, on constate que les alevins qui étaient restés sombres sont les mâles alors que ceux qui étaient devenus clairs sont les femelles. Etonnant, non ? Il conviendrait bien entendu de confirmer cela par de nouvelles expériences, donc, si le cœur vous en dit...

La nourriture des jeunes est tout à fait traditionnelle (artémias, cyclops...) sans toutefois oublier qu'il s'agit de poissons fortement végétariens et qu'en conséquence, un mélange de nourriture contenant une bonne quantité d'épinards ne peut que leur être profitable. Sans être très rapide, leur croissance se situe dans une bonne moyenne: 4 cm en 4 mois.

Il a souvent été dit que les cichlidés-gobies forment un couple stable de façon à avoir une incubation de type biparental. Les observations faites chez Cédric et chez moi prouvent qu'en ce qui concerne cette espèce il n'y a pas d'union entre les partenaires, du moins à long terme. Comme je l'ai dit précédemment, je suis en possession de 3 mâles et d'une femelle. Un des mâles, dominé, ne participe jamais aux reproductions. Par contre, je soupçonne très fortement la femelle de se reproduire alternativement avec les deux autres. S'il m'est difficile de les reconnaître physiquement, je peux toutefois les différencier en fonction du territoire occupé : l'un à droite, l'autre à gauche. J'ai ainsi remarqué que si une ponte est récupérée par le mâle de droite, la suivante l'est par celui de gauche, et ainsi de suite. En fait, la stabilité du couple ne semble réelle que pendant le temps d'incubation de la femelle, le mâle reproducteur cherchant en permanence sa compagne jusqu'au 11ème jour, où elle lui confie la garde de sa progéniture. A partir de ce moment, le couple semble désuni, et la femelle n'hésite pas à aller se faire courtiser par l'autre mâle.


 
Si je n'ai, à ce jour, pas encore assisté à la ponte mais celle des Tanganicodus (photo) est similaire, j'ai pu par contre lors de la 5ème reproduction assister au passage des larves de la bouche maternelle à la paternelle. La femelle, très excitée, se trémoussait devant le mâle en une sorte de danse nuptiale. Celui-ci ne tarda pas à la suivre dans un coin retiré, à l'abri des intrus. Elle lâcha alors ses larves une par une, au-dessus des rochers. Les minuscules larves jaunes étaient alors happées en pleine eau par leur père.
Le moment est venu maintenant d'étudier le cas, différent, des poissons de Cédric. Celui-ci possèdait deux couples dans un bac de 400 1 mais un seul mâle participait aux différentes pontes, qui avaient lieu alternativement avec les deux femelles. Où tout se gâte, c'est quand une femelle en incubation veut faire comprendre au mâle qu'il serait peut-être temps de s'occuper des enfants. Celui-ci la violente avec tant de vigueur que Cédric dût à chaque fois retirer la pauvre femelle, le mâle préférant quant à lui courtiser l'autre femelle. Ce comportement explique les très longues durées d'incubation maternelle (voir tableau).
 

Tableau n°2 :

 
Date de la ponte
Durée incubation femelle
Nombre d'alevins
1ere femelle
24/07
26/08
26/09
17 j
19 j
19 j
10
15
19
2ème  femelle
12/08
13/09
16/10
16 j
18 j
11 j
12
22
4/5
On peut ainsi constater que même en l'absence de mâle, l'incubation peut être menée à son terme, quoique celui-ci semble survenir plus vite qu'en cas de relais par le père. Pour obtenir une reproduction "normale", Cédric dût isoler un couple dans un autre bac où, cette fois, le mâle prit les larves en bouche le 11ème jour pour ne les garder que 4 jours. Quelques jours plus tard, 4 ou 5 alevins furent observés sous les pierres. L'enseignement que l'on peut tirer de ces différentes observations est qu'il semble tout à fait préférable de n'avoir qu'une seule femelle, même s'il y a plusieurs mâles, les mâles semblant avoir beaucoup de mal à résister à la tentation. A moins d'avoir la possibilité d'avoir un groupe important dans un très grand bac.

En conclusion, si un jour vous avez besoin de tondeuses à gazon, si les Tropheus ou Petrochromis vous paraissent trop remuants, trop agressifs voire caractériels (j'en connais qui viennent de sauter au plafond) ou trop chers ou tout simplement si votre bac est trop petit pour les maintenir, alors n'hésitez pas, faites l'acquisition de quelques cichlidés-gobies, ils vous raviront et leur processus reproductif inhabituel et assez délicat vous passionnera.

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