Notes sur la reproduction de Synodontis multipunctatus

  
Synodontis multipunctatus fait partie des poissons-chats endémiques du lac Tanganyika ayant acquis une grande popularité parmi les cichlidophiles. Cette réputation tient essentiellement au fait qu'il a l'habitude de faire héberger ses jeunes dans la cavité buccale des femelles Cichlidés en incubation ce qui constitue, plus ou moins, un chalenge pour l'aquariophile. Le magnifique film "Les secrets du lacTanganyika" de Victoria Stone et Marc Deeble diffusé à la télévision il y a quelques années montre parfaitement ce processus puisqu'on y voit de jeunes Synodontis à l'intérieur de la gueule d'une femelle Ctenochromis horei.
 
 


Mâle Synodontis multipunctatus
Le spermiducte est visible juste en avant de la nageoire anale

"Les secrets du lac Tanganyika" 

J'ai toujours été très impressionné par la qualité de ces images et me suis longtemps demandé comment elles avaient pu être prises. La réponse est arrivée à la Toussaint 2001 : Le téléphone sonne 
" coucou, c'est Corinne, je donne un coup de main à la permanence AFC au Festival de l'image sous-marine d'Antibes. Devine avec qui je viens de parler ? ……. Victoria Stone… en personne "

…… !!!!!!!!!! ………… 

" Demande lui vite comment elle a fait pour faire les images de bébés Synodontis dans la bouche d'une femelle Ctenochromis "

" Je la retrouve et je te rappelle… "
...
"Ils ont mis deux mois à trouver la maman piratée, en cherchant toutes les nuits. Quand ils ont trouvé une femelle avec des coucous, ils l'ont installée dans un aquarium et filmé tranquillement l'intérieur de la gueule. Après, ils l'ont remise à l'eau. "
 

Je trouve intéressant de savoir qu'il a fallu deux mois pour trouver une femelle incubant des Synodontis

Bref historique :

Juillet 1996. Je passe de fort agréables vacances sur les bords de la Dordogne. Outre les visites obligatoires dans les restaurants et fermes auberges permettant d'apprécier pleinement la richesse de notre terroir, je ne peux manquer une visite chez mes amis Marie-Paule et Christian Piednoir ( Aquapress). Là, je découvre un très beau bac hébergeant des Fossorochromis rostratus, Sciaenochromis fryeri et Labidochromis caeruleus ainsi que trois S. multipunctatus ; un autre aquarium dans la pièce à poissons héberge une douzaine de jeunes de 2-3 ans. Concernant cette dernière espèce, je repartirai avec deux informations : d'une part le fait qu'ils semblent devoir être relativement âgés pour se reproduire (7 ans de captivité mais les jeunes se sont reproduits plus rapidement vers 3-4 ans), d'autre part le fait que des jeunes sont récupérés régulièrement dans le filtre sans que les Labidochromis caeruleus (incubateurs réguliers de l'espèce) ne les aient incubés. Marie-Paule me dit que les poissons pondent à l'entrée du filtre, cette observation ayant été faite à plusieurs reprises et quelques jeunes récupérés dans les masses filtrante (Efifix).

 Décembre 1997

Je fais l'acquisition chez Abysse de trois S. multipunctatus. La tentative de sexage par observation des papilles génitales est un échec, aucune différence n'étant visible.
Ils sont placés dans un premier temps dans un bac de 250 litres où ils ne resteront guère longtemps car trop cachés. Rapidement ils rejoignent quelques Cichlidés du Tanganyika dans un bac de 2,50 m. Là, ils ont, pendant 3 ans et demi, mis à profit le fameux adage "pour vivre heureux, vivons cachés" ! Un peu déprimant pour l'aquariophile !
Bien difficile de les voir. Parfois un poisson faisait son apparition lors des distributions de nourriture, mais rien de plus. Les trois sujets semblaient bien s'entendre, sans plus.
Leur croissance fut très limitée pendant tout ce temps et ils sont loin d'atteindre la vingtaine de centimètre relevée dans certains ouvrages !

Août 2001 :

Lassé par les M'bunas qui ornent le bac du salon, je décide d'y transférer toute la population de "Tanganyika", ne laissant, de la population d'origine, que trois Synodontis njassae.
Je monte doucement le TAC au moyen de bicarbonate de soude de façon à assurer un pH élevé et je "traite" le bac avec du Penac W 4033 ("traitement" commencé avec les M'bunas) ce qui me permet d'obtenir une eau cristalline et empêche mes Anubias de "chloroser". Ce produit est parfois controversé mais comme de toute évidence il n'est pas nuisible aux poissons… pourquoi s'en priver.
L'acclimatation de toute la population se passe sans problème.
Quelques semaines plus tard, j'ajoute à la nourriture "maison", paillettes et granulés un peu de Penac T. Si je n'ai pas observé de modification très importante chez les Cichlidés (même si l'appétence de la nourriture semble meilleure), j'ai par contre observé un très important changement chez les deux espèces de Synodontis qui deviennent absolument "folles" lors des distributions. Les S. njassae (en ma possession depuis décembre 1995) ne se sont jamais autant montrés lors des distributions, il m'est même arrivé de ne pas les voir pendant plusieurs semaines. Maintenant, ils sortent et "courent" dans tous les sens de toute évidence très attirés par la nourriture.
 

Dans le courant du mois de novembre 2001, j'ai observé une modification notable du comportement des S. multipunctatus. Deux d'entre eux nageaient en permanence ensemble, l'un derrière l'autre, ne se quittant pas d'une nageoire. Le troisième était chassé par le poisson "de derrière". J'ai pu observer cela pendant plusieurs jours, tous les matins peu après l'allumage des tubes néons. Ensuite j'ai remarqué qu'ils appréciaient particulièrement une zone sableuse juste devant une des entrées du filtre et proche de grosses roches. Ils y venaient souvent et leur nage me faisait parfois penser à une pariade. Observant attentivement les deux poissons j'ai pu remarquer que l'un d'eux (celui qui nage toujours derrière l'autre) présentait un orifice génital saillant, très fin et pointu alors que l'autre en avait un plus large. J'en ai donc conclu que le poisson "de devant" est une femelle et son poursuivant un mâle.
J'ai pu par la suite et à plusieurs reprises observer la pariade : Les deux poissons se placent côte à côte, tête bêche. Le mâle enveloppe alors la tête de la femelle avec sa queue. Je pense que l'émission des œufs et leur fécondation a lieu à ce moment. Je dois dire que je n'ai jamais vu d'œuf…..Surtout que, ayant acquis depuis peu un couple de Ctenochromis horei en espérant que la femelle me fournirait des bébés Synodontis, j'ai pu constater que le mâle horei est très intéressé par les pariades de Synodontis car, dès que ceux-ci sortent des roches, il se précipite pour se régaler du caviar invisible (du moins pour moi !). J'ai même observé le mâle Synodontis picorant les taches anales de l'horei qui avait pris une position typique de ponte… Amours contre Nature !!
Quasiment tous les matins du mois de novembre j'ai pu observer ce manège à trois sans jamais être certain de quoi que ce soit.
 
Le 28 novembre, je regarde machinalement l'intérieur du filtre…. Et oui… il y a là un bébé Synodontis d'environ un centimètre (photo ci-contre)…… Or aucune des rares espèces incubatrices buccales du bac ne s'est reproduite depuis la restructuration du mois d'août !!! J'en déduis donc que les pariades observées ont été partiellement fructueuses et qu'il n'est donc nul besoin de disposer d'incubateurs buccaux pour obtenir de jeunes Synodontis, ce qui confirme les observations de M.P. & C. Piednoir.

 

Le 1er décembre, le couple de Ctenochromis fraie….. Très intéressant car la ponte a lieu dans la zone de prédilection des Synodontis. Cela provoque un sacré remue-ménage parmi ces derniers. Dès que les Cteno arrivent, les Syno pointent le nez…. Ponte de Cteno…. Et le couple de Syno qui s'intercale, reprenant la position tête-bêche et caudale du mâle enveloppant la femelle….
C'est un bonheur d'assister à ce spectacle… le troisième Synodontis se mêle à la partie, l'aspect de son appareil génital ne laisse aucun doute, c'est un mâle…
Pendant plusieurs minutes je peux ainsi assister à ce spectacle… Les Cteno ne semblent pas vraiment apprécier la plaisanterie mais Dame Nature a bien fait les choses et celles-ci se font dans leur ordre normal.
Malheureusement cette première ponte de Ctenochromis avortera le lendemain en raison à la fois du comportement agressif du mâle mais aussi certainement de l'impossibilité pour la femelle de résister à l'attrait de la nourriture.
Par la suite j'ai assisté à de très violentes bagarres entre les deux mâles Synodontis et la suprématie de l'un ou l'autre sur la femelle ne semble pas, près d'un mois après, encore réellement assurée même si le second mâle semble prendre le dessus. Le premier a, en tout cas, souffert des querelles et ses moustaches en ont sérieusement pâti !
Vers la mi-décembre, il semble que le second mâle soit maintenant le favori de la dame ; les pontes semblent avoir lieu derrière le décor.. bien difficile à voir !

Ci-dessous les deux couples en "pleine action"

Hypothèses :

Le fait que l'équipe de tournage de "Secrets du Tanganyika" ait mis deux mois pour trouver une femelle incubant des Synodontis montre que le fait n'est pas vraiment courant. De plus quelles sont les probabilités pour qu'un couple de Synodontis en frai rencontre un couple de Cichlidés en frai ?… vraisemblablement très faibles, voire infimes !
On sait que les Cichlidés pondent relativement peu souvent, en une seule fois mais un assez grand nombre d'œufs.
Si les Synodontis se reproduisaient au même rythme que les Cichlidés il n'y aurait quasiment aucune chance pour que les couples se rencontrent à un moment très précis. Donc, il semble que les Synodontis (au moins ceux pratiquant la technique du coucou) se soient adaptés pour avoir toutes les chances de rencontrer un couple de Cichlidés en reproduction. Pour cela ils ne pondent pas ponctuellement mais sur une période assez longue, plusieurs jours, voire semaines, mais il est vraisemblable que les œufs émis chaque jour sont peu nombreux.
Cela permet d'augmenter les chances de faire héberger les jeunes par une femelle Cichlidé.
Dans le cas où les œufs ne pourraient être "adoptés", ils sont émis dans le vide et si les conditions sont bonnes, ce qui est le cas dans l'entrée d'un filtre à décantation où ils sont à l'abri de la prédation mais également remués par le courant d'eau, ils peuvent alors se développer normalement et donner naissance à des jeunes comme cela est arrivé chez M.P. & C. Piednoir et chez moi.

Et la suite !

Vers la fin décembre j'ai pu constater que la femelle Ctenochromis avait disparu. Je l'ai cherché longtemps avant de finir par la voir rapidement passer, me rassurant ainsi sur son état de santé. Au cours des jours et semaines qui suivirent j'ai pu constater qu'elle avait élu domicile dans un amas rocheux d'où elle ne sortait quasiment pas.
Progressivement j'ai pu voir sa gorge, bien plate au départ, se gonfler ; l'incubation semblait évidente. Ni tenant plus, j'ai décidé le 14 janvier de tenter une capture. J'ai été assez surpris de la relative facilité de la pêche. En fait, elle n'osait pas trop sortir des cailloux de peur de se faire taper par son "conjoint". En quelques minutes elle était dans l'épuisette. Petite manipulation et elle libère 25 jeunes Ctenochromis et un Synodontis dont les sacs vitellins ne sont pas encore entièrement résorbés. La taille du Synodontis  est considérable par rapport aux jeunes horei - au moins 7 à 8 fois leur volume !
Tout ce petit monde a été placé dans un bac flottant dans un aquarium de 250 litres où évolue, entre autre, le premier jeune Synodontis dont la croissance dans le filtre a été très importante pendant un mois et demi. Il a été retiré du filtre le 10 janvier car soupçonné d'éventuellement manger les oeufs qui pouvaient y être aspirés.

Le 23 janvier au matin j'ai observé un fort remue-ménage. De toute évidence les poissons-chats recherchaient la présence des Ctenochromis bien que ceux-ci n'étaient pas en bonne disposition pour pondre. J'ai pu voir l'émission d'un chapelet d'oeufs de Synodontis, immédiatement mangés par les Cteno. Il me semble évident que la présence des incubateurs buccaux stimule fortement la ponte des poissons-chats. Il est probable que c'est lors de telles "galipettes" à quatre que des oeufs peuvent être aspirés dans le filtre. Malheureusement pour cette fois, la reproduction a eu lieu à l'autre extrémité du bac ! Ce remue-ménage matinal a été encore observé le 24 et 25 confirmant ainsi la ponte sur une période longue augmentant les chances de réussite.

Et les S. njassae ?
 

Cette espèce originaire du lac Malawi ne semble pas s'être encore reproduite en aquarium. Depuis 1995 je n'ai rien observé laissant penser à une reproduction possible. Je pense être, là aussi, en possession de deux mâles et une femelle, cette dernière étant plus grande et présente souvent un abdomen nettement rebondi. L'agressivité intraspécifique de cette espèce est extrême, ils se sont pendant très longtemps répartis l'aquarium : 1 à chaque extrémité et le troisième au centre. Les bagarres ont toujours été particulièrement violentes aux limites des territoires. Depuis peu une entente toute relative semble régner alors, qui sait… à suivre… peut-être !
Récemment (janvier 2002) j'ai pu voir chez un commerçant de la région rouennaise de jeunes S. njassae d'élevage en provenance de Tchécoslovaquie. Intrigué j'ai pris des renseignements auprès de Julian Dignall, webmestre du magifique site Planetcatfish. Selon lui, les nombreuses espèces de Synodontis en provenance de ce pays sont reproduites à l'aide d'injection d'hormones. Il n'a pas entendu parler de reproduction par des méthodes naturelles.

Autres articles
Retour au sommaire