Thoracochromis brauschi   Article publié dans la RFC N°159 - mai 1996. Mise à jour octobre 2015

 
Voici maintenant plusieurs mois que j'ai décidé de modifier la population de mes aquariums ; fini le Tanganyika (sûrement provisoirement!), déménagement des M'bunas pour leur laisser une place de choix dans le salon et libération d'un bac de 700 litres pour les Cichlidés du lac Victoria ; La population fut acquise progressivement au hasard des arrivages chez un ami commerçant dans la région ("Le Nautilus" pour ne pas le nommer!).

 
C'est ainsi que je pus un jour voir de jeunes Cichlidés provenant d'un grossiste allemand et vendus sous le nom de "Haplochromis sp. Blutkhel", ce qui signifie "à gorge sanglante". 
Effectivement, malgré leur taille encore réduite, les jeunes mâles arboraient une magnifique coloration écarlate sur la gorge. Séduit, je fis l'acquisition d'un couple. Une deuxième femelle en surnombre dans le magasin vint ensuite les rejoindre. 

 
Imbroglio systématique :

Plusieurs mois plus tard, en visite chez Eric Zeitoun (Abysse), j'appris que lui aussi possédait cette espèce qu'il avait acquise sous le nom de Cyclopharynx fwae et qu'elle ne provenait pas du lac Victoria, comme je le pensais, mais du lac Fwa au Zaïre qui n'est qu'une portion élargie de la rivière portant le même nom. Pour bon nombre d'entre nous ces poissons du lac Fwa n'évoquent rien. Pourtant quand Eric prononça ces noms, j'étais absolument persuadé de les avoir lus quelque part. De retour chez moi j'ouvris tous les livres qui me tombaient sous la main et finis par trouver un fascicule que m'avait donné Robert Allgayer voici quelques années (voir la bibliographie). J'appris ainsi que Max Poll étudia en 1948 sept espèces de Cichlidés de la rivière Fwa, que six étaient nouvelles et placées dans quatre genres monotypiques (Cyclopharynx, Callopharynx, Neopharynx, Schwetzochromis) et dans le genre Haplochromis ( H. callichromus et H. rheophilus). Enfin, en 1965, il décrivit en compagnie de Thys van den Audenaerde une autre espèce : H. brauschi.


 
Haplochromis callichromus, holotype, 122mm LT Haplochromis brauschi, holotype, 94 mm LT
D'après Poll, 1948 et Poll et Audenaerde, 1965
Dessins (1,2 & 3) tirés de la Rev. Franç. d'Aquariologie 16 (1989)

 
L'introduction des Cichlidés de cette rivière dans le monde de l'aquariophilie semble due à Heiko Bleher qui a visité la région en 1988. Le fascicule présente quatre photos de H.J. Mayland montrant H. callichromus, Cyclopharynx du complexe fwae-microdon et enfin Schwetzochromis neodon. De plus des dessins de Poll et Audenaerde sont également présentés : H. callichromus, H. brauschi, Cyclopharynx fwae et Callopharynx microdon.

 
De tout cela il en résulte que mes "Haplo. blutkhel" ressemblent en tout point à "Haplochromis" brauschi (et en aucun cas à C. fwae dont, de plus, une photo est présentée dans le Cichlid News de octobre 1995)

Cyclopharynx fwae holotype, 97 mmLT

Le statut de "H': brauschi semble assez confus puisqu'il pourrait être identique à "H': callichromus , d'après Allgayer et Condé. Mais il semble y avoir erreur de détermination en effet, il paraît évident que les deux photos représentant, soit disant, un mâle et une femelle "H' callichromus représentent en fait un mâle de cette espèce et une femelle ressemblant en tout point à mes "H': brauschi (la photo de la femelle ayant d'ailleurs été identifiée initialement par Mayland comme "étant vraisemblablement "H': brauschi" .

Si on observe attentivement la longueur du museau de ces deux sujets il est évident qu'il ne peut s'agir de la même espèce contrairement à ce qu'écrivent les deux auteurs. De plus, si la photo de la femelle est tout à fait identique à mes sujets, la photo du mâle leur est tout à fait étrangère : absence de bande noire dans la dorsale, lèvre supérieure bleue (seule la lèvre inférieure est bleue chez "H".cf. brauschi), le ventre semble plus jaune que la partie dorsale (chez "H': cf brauschi , la partie inférieure des flancs est nettement blanchâtre, la partie supérieure étant jaune-vert-olivâtre), les rayons durs des nageoires pelviennes semblent rouges alors qu'ils sont nettement noirs chez "H': cf. brauschi (notons toutefois que la description de M. Poll signale que les rayons externes des nageoires ventrales sont noirâtres chez "H': callichromus, ce qui n'est pas le cas de la photo du mâle !

Une seule chose me gêne c'est que la photo présentant une femelle en incubation nous montre que le poisson a une importante coloration rouge sur la gorge, or mes femelles ne présentent que très exceptionnellement une faible coloration rosée à cet endroit. Les dessins de M. Poll sont, eux, sans équivoque. Enfin, les deux espèces ont été placées en 1994 dans le genre Thoracochromis par Roberts & Kullander. Le doute étant toujours permis, je les baptise donc Thoracochromis cf. brauschi ce qui signifie en langage "scientifique" qu'il s'agit probablement de cette espèce mais sans certitude absolue, la dissection étant le seul moyen d'identification certain. De toute évidence T. callichromus et T. brauschi sont deux espèces certainement très proches l'une de l'autre mais certainement pas, comme le supposent Allgayer et Condé, identiques.

Le point sur la systématique des espèces du lac Fwa selon le listing des synonymes par R. Allgayer (site web de l'AFC) (janvier 2002)
Haplochromis reophilus = Schwetzochromis neodon
Callopharynx microdon = Cyclopharynx fwae
Neopharynx schwetzi = Cyclopharynx schwetzi
T. brauschi et T. callichromus sont bien deux espèces distinctes.
Notons de plus que si le genre Schwetzochromis fut un temps mis en synonymie avec Orthochromis, ils sont actuellement à nouveau, et logiquement, séparés.
Enfin, le genre Thoracochromis bien que proposé par Roberts et al. et 1994, (espèce type T. wingatii du haut-Nil) ne s'applique sans doute pas aux espèces du bassin du Congo qui forment certainement une lignée évolutive distincte. Un genre nouveau sera donc très certainement nécessaire.


 
à gauche : mâle T. brauschi
à droite : femelle Schwetzochromis neodon
une autre espèce endémique du lac Fwa
Coloration :

La photo du mâle est plus parlante que toutes les descriptions plus ou moins littéraires. Les femelles ont une coloration de base identique. Toutefois les zones sombres sont très estompées, la coloration vert-olive est moins intense et, comme il a été signalé précédemment, la coloration rouge de la gorge est très peu marquée, voire inexistante. Elles présentent deux bandes longitudinales plus ou moins discontinues et plus ou moins marquées, la première part de l'œil pour aller au pédoncule caudal, la seconde, plus fine surmonte la précédente. II semble que la taille maximale ne dépasse pas une dizaine de centimètres chez les deux sexes. Comportement: Après une période d'acclimatation réglementaire, mes poissons furent introduits dans un bac de 700 litres en compagnie de jeunes "Haplochromis" du lac Victoria, tous plus "species" les uns que les autres~ Le mâle s'octroya très rapidement un amas rocheux relativement important au-dessus duquel il patrouille infatigablement, s'y cachant dès qu'un observateur s'approche de l'aquarium et en sortant rapidement dès qu'un intrus à nageoires s'y aventure. Prendre une photo de l'énergumène n'est pas de tout repos, sans cesse en mouvement le bougre ! Son agressivité interspécifique est à la, hauteur de sa coloration : malgré sa taille relativement modeste tout ce qui bouge est chassé avec beaucoup de vigueur mais, ce qui est intéressant pour l'aquariophile, c'est que ces poursuites sont toujours sans conséquence grave pour l'intrus, une poursuite, un coup de gueule et c'est tout ; pas de nageoire abîmée, pas d'écaille arrachée. Et pourtant il suffit de le contempler cinq minutes pour voir que ce n'est pas un tendre. Ses colocataires s'y habituent d'ailleurs rapidement et ne s'aventurent plus sur son territoire. Les femelles sont beaucoup plus calmes et évoluent en général en pleine eau. Les rochers ne leur servent d'abri que lors des périodes d'incubation.

Reproduction :
Là, réside encore, pour moi, le mystère! Malgré des incubations buccales fréquentes, aucune reproduction n'a abouti. Que se passe-t-il ? Y-a-t-il un problème de qualité physico-chimique de l'eau ? Après tout je ne connais rien de la rivière Fwa, l'eau y est, peut-être, très particulière ! Tout ce que je peux dire pour l'instant c'est que le mâle creuse une dépression dans le sable, à la limite des rochers constituant son territoire, la ponte y a lieu de façon tout à fait traditionnelle. Alors pourquoi cela n'aboutit jamais ? Les incubations ont duré une dizaine de jours au maximum, les œufs semblent donc être fécondés. E. Zeitoun (comm. pers.) a, quant à lui, enfin réussi la reproduction dans une eau de conduite tout ce qu'il y a d'ordinaire. L'incubation a duré une quinzaine de jours et une quarantaine d'alevins de moins d'un centimètre (LT) ont été libérés. La croissance des jeunes est supérieure à celle des Copadichromis borleyi "Kadango" avec lesquels ils sont élevés. La coloration des jeunes mâles apparaît très tôt puisqu'ils peuvent être distingués dès l'âge de deux mois.

Je remercie Eric et Robert (A. & D.) pour les renseignements qu'ils ont eu l'amabilité de me fournir.

Bibliographie :

  • Allgayer R. et Condé B. 1989. Illustration de Cichlidés endémiques de la rivière Fwa. Rev Franç. d'Aquar., 16 (1989), 2, 30 novembre 1989.
  • Roberts T.R.& Kullander S.O., 1994. Endemic cichlid fishes of the Fwa River, Zaïre : systematics and ecology. Ichtyological Exploration of Freshwaters 5 (2): 97-154.
  • Lucanus O., 1995, "New cichlids from the Fwa River basin in Zaïre" Cichlid News Oct 1995

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