Quel nom pour les habitants des coquilles ?
 

Publié dans Aqua Plaisir N° 82

Dans un article récent paru dans la revue américaine Cichlid News (*) Martin Geerts soulève le problème du nom que l'on doit donner aux Cichlidés du lac Tanganyika habitant les coquilles. Ceux-ci sont communément désignés sous le terme de "conchylicoles" (prononcer conKilicole) dans la littérature française, ce nom semble leur aller comme un gant alors pourquoi cet article de Geerts ? En fait l'objectif initial était de montrer que certains termes utilisés dans la littérature anglo-saxonne sont inappropriés, et en particulier le terme "ostracophil" (Geerts, com.pers).

Pour bien comprendre la démarche, il faut se référer à l'étymologie des termes.
Phile = qui aime
Cole = qui habite
Ostra vient de Ostrea et désigne des mollusques bivalves (huîtres, moules)
En conséquence le terme ostracophile s'adapte assez mal à des poissons qui vivent dans des coquilles d'escargots ; en fait, il ne concerne que les poissons déposant leurs œufs dans les moules (Rhodeinae).

Selon M.Geerts, le terme "conchylicole" est également inadapté. En effet, selon Dance (1986) le mot grec "conchylium" désigne le coquillage non pas en tant que coquille mais en tant que mollusque ayant généré la coquille. Effectivement un conchyliculteur n'élève pas des coquillages pour leur contenant mais pour leur contenu, soit l'animal ! En conséquence un animal conchylicole serait un animal habitant à l'intérieur même du mollusque, donc un parasite de ce mollusque !

Geerts, suivant Vermeij (1987), propose donc un autre terme : "conchicole" (prononcer conCHicole) issu du latin concha qui désigne le coquillage au sens large soit aussi bien le contenant que le contenu.

Ayant effectué quelques recherches grâce à des collègues professeurs de lettres classiques, il semble que la traduction exacte de "conchylium" (coquillage) ne soit pas réellement claire et semble désigner aussi bien l'animal que la coquille, donc il est l'équivalent de "Concha". Il n'y a donc aucune raison pour estimer que "conchicole" est plus approprié que "conchylicole" mais il reste un doute malgré tout lié à la traduction exacte de conchylium et si Gance a raison alors effectivement conchicole est plus approprié.

Une troisième voie ? De toute évidence que ce soit concha ou conchylium, le mot désigne un mollusque à coquille donc aussi bien un bivalve qu'un gastéropode donc une espèce conchicole peut occuper aussi bien une coquille de moule qu'une coquille d'escargot ! Si l'on poursuit le raisonnement lié à l'étymologie, on se rend compte qu'il existe un terme grec kokhlos donnant le préfixe "cochl(o)" ou "cochli(o)" et désignant très précisément les coquilles d'escargots.
On pourrait donc envisager un terme comme "cochliocole" qui s'adapterait encore mieux au cas précis des Cichlidés occupant les coquilles…. Si ça dit certains hyper-puristes de l'utiliser…

Une dernière remarque : dans les milieux aquariophiles plusieurs espèces sont qualifiées de "co…cole" (à vous de choisir ce que vous mettez à la place des points) alors qu'elles n'ont absolument pas cette particularité en milieu naturel. C'est le cas par exemple de Neolamprologus kungweensis et N. signatus qui creusent des galeries dans la vase. En aquarium, ils utilisent les coquilles d'escargots par défaut et c'est pourquoi les aquariophiles les intègrent parmi les "co…coles" mais il s'agit d'un abus de langage totalement injustifié. A l'heure actuelle aucun terme ne semble vraiment leur convenir si ce n'est "co…cole opportuniste" pas réellement satisfaisant. Martin Geerts m'a promis d'en parler autour de lui donc…

Suite (08/2003) : Observant les oiseaux limicoles en Bretagne durant le mois de juillet, je me suis posé la question de savoir si ce terme ne conviendrait pas également à nos poissons. Le "Petit Robert" nous donne la définition suivante de "limicole" : "qui vit sur la vase du fond de la mer, des lacs". Le mot est tiré du latin limus signifiant limon, boue. Il me semble donc que ce terme peut également parfaitement s'appliquer à ces petits cichlidés. Toutefois il peut également s'appliquer à d'autres espèces vivant sur la vase (Limnochromis auritus par ex) en conséquence " limicole pondeur sur substrat" ou, pour faire plus court, "lamprologue limicole" serait plus approprié pour les différencier des "limicoles incubateurs".

Le nombre d’espèces actuellement connues et concernées par ce terme est restreint : Neolamprologus kungweensis, N. signatuset N. laparogramma (peut-être un synonyme de N. signatus lui-même connu parfois des aquariophiles sous le noms de « Lamprologus cyanocephalus>>.
Des observations en aquarium ont montré que leurs œufs ne sont pas adhésifs. Cela leur permet de ne pas être enfouis lors d’un éventuel éboulement du tunnel creusé (la même chose est observée chez Hypsophrys nicaraguensis d’Amérique centrale). En aquarium où il est difficile de fournir un substrat vaseux suffisamment solide pour que les poissons puissent y creuser leurs galeries, on introduit soit des coquilles d’escargot soit, encore mieux, on enfouit des petits tuyaux en PVC d’environ un centimètre de diamètre obliquement dans le sable afin d’imiter au mieux les galeries. Il s’agit d’espèces assez agressives (malgré leur petite taille) défendant vaillamment leur trou. Même dans des aquariums relativement grands pour eux (250 litres – 100 x 50 de base) je n’ai jamais réussi à maintenir à long terme plus d’un couple par bac. Le mâle dominant commence par éliminer ses rivaux tout en supportant assez bien les femelles mais ensuite, ce sont les femelles qui se font la guerre jusqu’à épuisement de la dominée. Par contre la reproduction d’un couple isolé dans un petit bac ne pose aucun problème, chacun ayant son propre trou (ou coquille).
 

(*)Geerts M., 2003. What should shell-dwelling cichlids be called. Cichlid News Vol 12 N°2

Konings A., 1998. Les Cichlidés du Tanganyika dans leur milieu naturel. Cichlid Press
 
 

© 2003; Philippe Burnel