Tropheus "Kongole"  Publié dans la RFC N° 192  Octobre 1999 Mise à jour 01/2013

Ecrit en collaboration avec E.Genevelle
Photos Liliane Moeremans / Angelicus



Du nouveau chez les Tropheus ? Pourquoi pas ?
 

Cette "découverte" est liée au plus pur des hasards lors d’une conversation avec Mireille Schreyen, la fille de Pierre Brichard de "Fishes of Burundi". Nous débattions des dénominations commerciales utilisées pour certaines races de Tropheus quand, à un moment, elle cita le Tropheus "Kongole". Après avoir vainement cherché sur une carte la ville de Kongole, Mireille fournit les explications suivantes : Kongole était le nom d’un éléphant (fort sympathique selon ses dires) qu’avait côtoyé Pierre Brichard à Kasaba Bay en Zambie ! Ensuite, que le "Kongole" était présent sur l’archipel des îles Kavalla (composé de trois îles, Kavalla, Milima et Kibigi).
Mais, pourquoi ne pas avoir nommé le "Kongole" en fonction de son lieu de collecte ? Tout simplement parce que au même endroit existe un autre Tropheus bien connu sous le nom de Tropheus brichardi " Kavalla" dit aussi "Canary cheek". Deux races ne pouvaient donc porter le même nom, d'où adoption du nom de l’éléphant. Pierre Brichard avait déjà signalé à Ad Konings ces deux races distinctes, mais les différences données par l’exportateur n’étaient pas significatives ou incomplètes. Aussi, Ad était passé outre (Konings, 1998).
Comment différencier ces deux races ? Le Tropheus brichardi " Kavalla" fait partie de ce que l’on appelle les "Canary Cheek" (ou l'inverse ??) ayant une tâche orangée plus ou moins marquée sur les joues. La teinte générale est grise avec des nageoires jaunes chez l’adulte. Le Tropheus "Kongole" est vert et rayé de jaune clair quand il est jeune. Curieusement, le Tropheus "Kongole" vit dans la partie supérieure de l’habitat où il est peu fréquent. Le Tropheus brichardi Kavalla vit dans les zones plus profondes. "Fishes of Burundi" reproduit depuis de nombreuses années ces deux races en bassin et a pu observer que le Kongole était très stable sur un plan chromatique alors que le brichardi de Kavalla présente sur quelques générations des différences chromatiques. Il apparaît ainsi de temps à autre des individus de type Canary Cheek de Kabimba (Kabimba est situé à une dizaine de km sur la côte au Nord de Kavalla) ou parfois même de type brichardi "Kanyosha-Kalemie". Tout semble donc démontrer que nous avons réellement affaire à deux races qui cohabitent dans un même lieu géographique et qui ont pris chacune une préférence pour un certain type de biotope. Comme il est certain que le Tropheus de Kavalla est un T.brichardi, le Kongole ne peut en être un.

Si ce n'est un brichardi, qu'est ce ?
 

Les données recueillies auprès de M. Shreyen tendent à montrer que le "Kongole" n'a que 4 à 5 épines anales. La caudale serait en forme de lyre plus ou moins prononcée. Evidemment tout le monde aura reconnu dans cette description un Tropheus "Polli", "espèce" maintenant considérée comme variété géographique de T. annectens qui possède les mêmes caractéristiques. M. Shreyen nous signale d'ailleurs que "le "Kongole" ressemble beaucoup "au polli" de Kungwe. Notons également que ces trois formes occupent dans le lac le même type d'habitat. 
Tropheus "Polli" est originaire de la côte tanzanienne, globalement sur la côte allant de Bulu Point à Kibwesa. Tropheus annectens (Type) vient de Kalémié, d'après sa description, mais Konings pense qu'il s'agit de M'toto, seule (?) localité congolaise où on le trouve et située au sud de Kalémié.
T. annectens a 4 épines anales selon la description basée sur quelques spécimens seulement, ce qui n'exclut donc pas la possibilité d'individus à 5 épines, le Tropheus moorii (au sens large) en a 5 ou 6 selon Max Poll (1986). Comme nous l'avons vu plus haut le Kongole en a 4 ou 5. Sur ce sujet Ad Konings n'exclut pas la possibilité d'une dérive génétique survenue chez des poissons qui sont, il faut le rappeler, élevés en captivité depuis maintenant plus de dix ans.
Chacun aura compris que le "Kongole" est très certainement une nouvelle variété géographique de T. annectens. En fait les îles Kavalla sont assez proches de Kalémié, mais au Nord. La localité type de Boulenger pourrait donc parfaitement être Kavalla et non Kalémié ou M'toto d'autant que Kavalla est plus proche de Kalémié que M'toto

Pourquoi le Tropheus annectens aurait-il ainsi trois aires de répartition parfaitement disjointes ?
La réponse est à chercher dans un article de Ad Konings paru dans le Cichlid Yearbook n°4 (cf bibliographie). La théorie de Konings sur la spéciation des Tropheus montre que T. annectens serait une espèce récente n'ayant pas encore colonisé tous les milieux qui lui sont favorables. L'espèce serait apparue dans le paléo-lac central lors d'une baisse des eaux du lac Tanganyika. Cette histoire géologique du lac explique ainsi la présence d'espèces identiques (dont Tropheus annectens) sur les rives opposées. On peut voir sur la carte la répartition du Tropheus annectens en bleu dans la région de M'toto et entre Karilani et Kibwesa.
Mais Ad n'explique pas la présence du "Kongole" plus au Nord dans une zone proche du paléo-lac Nord, simplement parce qu'il y ignore vraisemblablement sa présence ou du moins ne soupçonne pas que le "Kongole" que Brichard lui a signalé peut être un T. annectens.

Là encore, c'est son article qui nous en donnera une explication plausible. Si l'on observe attentivement la carte de la page 11 montrant la répartition des différentes espèces de Tropheus on pourra remarquer qu'une courbe bathymétrique relie la zone centre tanzanienne occupée par le Tropheus "Polli", la région de M'Toto (T. annectens "type") et de là se dirige vers le Nord, droit sur les îles Kavalla (Tropheus "Kongole").
Il est donc tout à fait possible que Tropheus "Kongole" ne soit qu'une forme chromatique (d'ailleurs semble-t-il très peu différenciée) de Tropheus annectens qui aurait occupé un paléo-lac dont les limites seraient Kavalla au Nord, M'Toto au Sud et la région de Bulu Point à l'Est.

Bien évidemment avant de publier cette hypothèse nous avons tenu à en informer Ad Konings, ne serait-ce que pour savoir s'il ne s'agit pas d'une idée totalement folle.


Sa réponse fut la suivante : "Je pense que vous pouvez avoir raison. Tant que nous ne disposerons pas de spécimens naturalisés mais uniquement de spécimens d'élevage, cela peut être une idée "exciting" que l'on pourra traduire par : Enthousiasmante, sensationnelle, passionnante.

A suivre donc !

Note complémentaire (Août 2000) :
Récemment (juin 2000) j'ai été amené à effectuer quelques recherches sur le Tropheus brichardi de Kavalla. C'est ainsi que j'ai relu une fiche technique que j'avais écrite il y a une dizaine d'années et qui fut publiée dans la RFC N° 101.
J'écrivais alors « Un autre Tropheus vit également à Kavalla, mais il est très différent du "Canary cheek"; il pourrait s'agir d'un Tropheus annectens ». Je me souviens que cette info m'avait été fournie par un des membres de  l'équipe française qui exportait alors les poissons depuis Kalémié.
De toute évidence, il s'agit là du "Kongole", seul autre Tropheus présent sur ces îles et dont l'identité réelle était déjà correctement envisagée par ceux-là même qui les capturaient.
 

Epilogue ?
Dans son numéro de janvier 2103, le magazine Cichlid news, publie un article de Konings sur le Tropheus annectens. D'une part il semble que la localité type ne soit pas le Kalémié que nous connaissons mais l'actuel Toa, localité de la côte Ouest située juste en face des îles Kavalla où vit le "Kongole". Les deux popualtions semblant totalement indifférenciables. Konings cite également une étude génétique de Sturmbauer et al (2005) montrant aucune différence génétique entre le "Kongole" et la population qui lui fait face sur la côte Est (Kungwe). Il suppose d'ailleurs que la population de l'Est a pu traverser le lac il y a 12-18000 ans lors d'une période de basses eaux ... exactement ce que nous avions envisagé dans le texte plus haut !

Bibliographie :

Konings A. , 1994, "The distribution patterns of Tropheus species", Cichlid Yearbook Vol.4, pp.6-11
Konings A. , 2013, "New informations on Tropheus annectens, Boulenger 1900". Cichlid News N°1, Vol 22, pp12-16

Poll M. 1986 ; "Classification des Cichlidae du lac Tanganika.Tribus, genres et espèces". Académie Royale de Belgique

Burnel P., 1990. Tropheus brichardi "Kavalla"; Rev. Franç. des Cichlidophiles N°101, septembre 1990.

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