La reproduction de
Neolamprologus fasciatus
Article publié dans 
Rev. Fr. des Cichlidophiles N°94 (12/1989)
et 101 (10/1990)

Actualisé en octobre 2003

Comment commencer un article sur ce poisson ? Si j'étais systématicien, je vous dirais par exemple : corps allongé et comprimé latéralement ; la hauteur se trouve 3,7 à 3,9 fois dans la longueur ; 35 écailles dans la ligne longitudinale, 27 à 29 sur la ligne latérale supérieure, et 20 sur l'inférieure. D: XVIII-XIX ; A: X ; corps jaune marqué de barres verticales sombres, parfois en forme de " Y " ; iris bleu éclatant ; taille 13 à15 cm, etc., etc. Mais comme je ne suis pas systématicien, je ne vous dirai rien de tout cela !

Par contre, je suis un peu pêcheur, et je peux dire que ce poisson me fait penser à un jeune brochet vu de profil. Quant à sa façon d'attaquer une proie, elle me fait penser à un Dimidiochromis compressiceps : tête vers le bas, corps en "S", l'avant de la dorsale replié, approche lente puis brusque accélération pour se saisir de jeunes poissons (rassurez-vous tout de suite, il n'attaque que ce qui a une taille en rapport avec sa bouche, en principe). C'est donc, vous l'avez compris, un poisson idéal pour limiter les proliférations d'alevins un peu encombrants, les Julidochromis par exemple. Complétons quand même la description en disant que le pédoncule caudal est marqué d'une tache sombre et que les nageoires impaires, légèrement marginées de jaune, possèdent de minuscules points jaunes. Pour terminer cette introduction, disons que dans la littérature, aucune relation de sa reproduction n'est faite (mais je ne possède pas toute la littérature mondiale) et pourtant, je sais qu'il s'est déjà reproduit en France.

Quel nom de genre ?
 
Dans la description de Altolamprologus par Poll en 1986, il est clairement indiqué que le genre est défini (entre autre) par sa hauteur de corps : " corps court, haut et très comprimé latéralement, moins de 3 fois en moyenne aussi long que haut (2.5-2.7 fois), la tête également comprimée avec museau acuminé, 3 fois plus haute que large ". Il est également indiqué que la formule anale A. (IX) X-XII n’est approchée que par une seule espèce du genre Neolamprologus : N. fasciatus. De toute évidence la description de Altolamprologus ne peut inclure, en l’état, notre poisson.

En 1997, M. Stiassny a publié une étude préliminaire sur les Lamprologues. Elle inclut N. fasciatus dans le groupe ossifié et donc le sépare de ce qu’elle considère comme étant les vrais Neolamprologus. Toutefois, il n’est nulle part indiqué dans sa publication que l’espèce pourrait être intégrée aux Altolamprologus (ce qu’elle fait dans des courriers personnels). Il est certain que le fasciatus appartient bien aux Altolamprologus toutefois tant qu’une redescription du genre n’est pas publiée (de même qu’une redescription du genre Neolamprologus qui en exclurait le fasciatus) il est prématuré de l’inclure dans le genre Altolamprologus. Voilà pourquoi je le maintiens (provisoirement certainement) dans les Neolamprologus.

Sa reproduction est tout à fait similaire à celle des Altolamprologus S.S. toutefois, les alevins sont extrêmement différents de ceux des A. calvus et compressiceps vraiment caractéristiques. Quand je vois dans certaines publications de l’AFC que certains auteurs distinguent les genres en fonction de l’aspect des alevins (notamment en Amérique Centrale) il me semble donc que, si l’on se base sur ce critère unique, le fasciatus ne peut faire partie des Altolamprologus. Personnellement j’en déduis que ce critère de ressemblance des jeunes n’est absolument pas un critère valable pour la distinction des genres.
 

Dans son milieu naturel, le lac Tanganyika, il évolue au-dessus des roches. Sa répartition s'étend sur l'ensemble du lac, le Sud en ayant une plus forte densité que le Nord ; il reste toutefois assez rare. Malgré cela, aucune variété géographique n'a pu encore être découverte, contrairement à son cousin Altolamprologus compressiceps. Dans son biotope d'origine, les eaux peu profondes et rocheuses du lac, il se nourrit de crustacés mais également de jeunes poissons. En aquarium, il acceptera à peu près tout, mais il aura bien du mal à se faire aux nourritures sèches.

Sa maintenance ne pose guère de problèmes si on lui donne de la place, une eau bien oxygénée et un pH franchement alcalin. Mais pour ça, tous les Tanganyikophiles sont au courant (enfin, j'espère). Passons donc.

Venons-en à mes propres poissons. J'en ai acheté 4 pour le prix de 3 (2 gros et 2 plus petits). Tiens, un commerçant sympa ! En fait, il avait besoin de libérer un bac, et un des deux petits était dans un état... Le style accent circonflexe, la peau du ventre dans la colonne vertébrale, les muscles du dos totalement atrophiés. Même si la comparaison est un peu osée, disons qu'il pouvait faire penser à un retour de camp de concentration! Pourtant, d'après le commerçant, il devait s'en tirer sans problème (pour le " sans problème ", j'avais des doutes), et puis, mourir bêtement dans un bac nu quand on vient tout droit du lac ! I1 fallait donc faire quelque chose pour cette pauvre bête; l'affaire fut donc conclue.

Les quatre poissons furent placés en quarantaine dans un bac de 250 litres. Bien entendu, pendant plusieurs jours, ils refusèrent toute nourriture. Ensuite, une ponte d'A. compressiceps vint à point pour leur faire les dents. Puis, des larves vivantes de moustiques au stade précédant l'envol furent acceptées avec beaucoup de plaisir. Après cela, ils acceptèrent progressivement ma nourriture : 1/4 de poisson, 1/4 de moules, 1/4 d'épinards, 1/4 de crevettes, un zeste de paprika et un peu de vitamines pour lier la sauce. Les trois plus costauds furent alors placés dans un bac de 700 litres. Quant au 4ème, il mangeait bien quelques fines particules (l'estomac était sans doute atrophié), mais son aspect n'allait pas en s'améliorant. Je pensai alors qu'il pouvait être infesté par des vers. Consultant un vieux numéro de la RFC (56), je me décidai pour un vermifuge polyvalent pour chiens et chats contenant de la tétramizole (qui ne risque rien n'a rien). Un comprimé fut réduit en poudre et des fragments de nourriture (1 cc) trempés dedans. Le traitement fut répété 3 ou 4 fois en deux semaines, puis une autre fois un mois plus tard (c'est toujours le même comprimé qui servait, attention à la dose : un comprimé pour 5 kg !). Alors, comme par miracle, le ventre reprit lentement une forme normale, les muscles dorsaux se renforcèrent et, en conséquence, redressèrent la colonne vertébrale, jusqu'à obtenir une ligne normale.

Si ce traitement lui fut très profitable, je ne peux passer sous silence l’expérience désastreuse qu’un AFCiste fit avec le même traitement. Il perdit tous les poissons du bac hôpital ! ! M’ayant informé de cette mésaventure j’ai testé le produit sur de jeunes Chalinochromis et Cyprichromis dans un bac de 50 litres dans lequel j’avais dilué ½ comprimé. Le résultat ne s’est pas fait attendre : tous sont morts en quelques heures ! Donc traitement à faire en mélangeant à la nourriture et à très faible dose ! Depuis je sais que le Fluvermal est tout aussi efficace, et nettement moins toxique  !

Il fut encore laissé quelque temps seul dans son bac. Les vacances de Pâques et une absence de deux semaines s'annonçant, je lui adjoignis 25 jeunes cyphos de 2 cm, espérant ainsi que tous mes efforts ne seraient pas ruinés par deux semaines de jeûne. A mon retour, il restait 5 cyphos et demi... et le fasciatus était en pleine forme. Après avoir tenté une introduction catastrophique auprès de ses congénères (quel "carton" !), il fut placé dans un bac de 800 litres, où vint le rejoindre l'autre petit qui commençait à se faire sérieusement malmener par les deux gros.

Venons-en donc à l'autre duo, les deux plus gros. Après quelques semaines d'hésitation, le plus gros des deux, à la coloration d'un jaune un peu plus soutenu, un mâle sans doute, s'appropria une grosse coquille marine qui, antérieurement, servait de garçonnière à mon mâle Altolamprologus compressiceps quand sa compagne illégitime avait quelques envies de reproduction. Après la mort de cette dernière, il se retourna vers sa compagne attitrée, laissant ainsi la place libre pour les fasciatus.
 
 
Le mâle montant la garde devant la grosse coquille (couverte d'algues)

Quelque temps plus tard, le deuxième fasciatus, un peu plus petit et moins jaune, disparut. En vain, je le cherchais partout, le faisceau de la lampe de poche ne donnait aucun résultat. Des roches furent déplacées, rien ! Le gros disparaissait également régulièrement mais là, pas de problème, car je le voyais rentrer dans la coquille à la moindre alerte, disparaissant entièrement à l'intérieur. Et s'ils avaient pondu ? Si la femelle était également à l'intérieur ? La coquille fut donc sortie et secouée et là, surprise, quelques larves blanches, minuscules, se répandirent dans le bac. Il n'y avait donc plus aucun doute, ils s'étaient bien reproduits dans cette grosse coquille et la femelle était sûrement encore dedans. Effectivement, un peu plus d'une semaine après sa disparition, elle fit une timide apparition à l'extérieur, sans doute poussée par la faim, son ventre auparavant bien rebondi étant devenu un peu creux. Pendant plusieurs jours encore, elle resta dans la coquille pour monter une garde vigilante, ses apparitions à l'extérieur devenant de moins en moins rares. Y avait-il encore des alevins ? Je surveillais attentivement mais ne voyais rien apparaître. Enfin, un matin, je vis deux minuscules larves munies de leur sac vitellin se déplacer péniblement à l'entrée du domaine. Deux jours plus tard, une nouvelle larve fut observée à un stade un peu plus avancé, puisque le jeune alevin pouvait pratiquement se déplacer normalement.
Là, je vous imagine vous demandant ce que je peux attendre pour sortir la coquille et vider son contenu dans un bac d'élevage. Par manque de place, momentané, j'ai décidé de laisser la nature faire son œuvre. La surveillance des parents devint ensuite très rapprochée, trop même peut-être car, toujours enfoncés dans la coquille, ils ne pouvaient voir un jeune Neolamprologus cylindricus, dont les intentions n'étaient visiblement absolument pas pacifiques à l'égard des alevins, monter également la garde à l'entrée.
Ma curiosité s'accentuant de jour en jour, je ne pus attendre plus longtemps. Rapidement, je bricolai un récipient, que je plongeai dans un bac de 250 l muni d'un exhausteur l'alimentant en eau et d'un trop-plein. Ce bac devait me permettre de garder quelques alevins, en attendant mieux. La coquille retirée libéra une trentaine d'alevins dans un seau, ils furent ensuite placés dans la nurserie. La coquille qui contenait toujours les parents retrouva sa place dans le bac. Le couple la déserta ensuite, n'ayant plus d'intérêt à rester enfermé alors qu'il fait si beau dehors.
Un mois plus tard, la femelle disparut de nouveau et le mâle reprit une garde vigilante devant la coquille, disparaissant à l'intérieur à la moindre alerte. Une nouvelle ponte avait eu lieu.

Et les deux autres, que deviennent-ils ? Il faut bien avouer qu'il y a des jours où on a de la chance, et le jour où j'ai acheté ces poissons en était un. En effet, j'ai obtenu deux couples avec quatre poissons ! Confortablement installé devant mon bac de salon pour écrire quelques lignes de cet article (PS : à l’époque l’ordinateur n’existait pas !), j'observe la reproduction des deux plus petits poissons, qui se déroule sous mes yeux. Non pas dans une coquille placée à cet effet, mais dans un silex conique percé d'un trou à son sommet. La femelle est entièrement entrée dedans et le mâle, l'ex-rachitique, approche régulièrement son abdomen de l'entrée pour féconder les œufs.

Les deux couples s'étant donc reproduits à une semaine d'intervalle, je décidai de laisser les choses se dérouler de façon à pouvoir observer le comportement des poissons dans deux situations légèrement différentes. Le gros couple dans un bac légèrement sous-peuplé et les plus petits dans un bac surpeuplé ou du moins, peuplé d'espèces beaucoup plus encombrantes. Une deuxième différence est constituée par l’abri : une coquille ou les deux poissons peuvent pénétrer, d'une part et un trou dans une roche où seule la femelle peut entrer d'autre part. Dans les deux cas, le comportement de la femelle est identique : pendant une quinzaine de jours, elle disparaît dans son abri, ne faisant que de très rares apparitions pour se nourrir. Le comportement du mâle est différent dans les deux bacs, et ceci en raison vraisemblablement de la différence de taille de la cachette : pénétrations fréquentes mais non permanentes dans la coquille d'un côté, garde rapprochée près de l'entrée du trou de l'autre. Toutefois, notons que dans les deux cas, la garde du mâle semble de moins en moins attentive au fil des jours.

Et le résultat ? Il est identique et égal à zéro des deux côtés. Un alevin a été observé à l'entrée de la coquille et aucun dans le silex. En fait, si la surveillance de la femelle est très active et efficace pendant une quinzaine de jours, elle cesse ensuite brusquement. On peut donc supposer que pratiquement dès le stade de la nage libre, les alevins prennent leur indépendance et sont totalement abandonnés par les parents, la femelle désertant alors son abri. Il convient donc de ne pas espérer de survie dans un bac d'ensemble, et si on désire élever des jeunes, il est indispensable de les retirer rapidement (environ 10 jours après la ponte) pour les placer dans un bac d'élevage.

Je vous signale une autre méthode pour réussir la reproduction de ce poisson. C'est sur des diapos prises en milieu naturel par H. Büscher et présentées lors d'une réunion de l'AFC Paris que j'ai pu voir cette nouvelle méthode : je vous en fais donc part. Il suffit d'immerger dans votre bac une vieille carcasse d'hippopotame, les fasciatus se reproduiront dans la mâchoire, à l'emplacement des dents (ça fait de jolis trous). Pour mieux reproduire le milieu naturel, vous aurez soin de bien répartir les dents au fond du bac. Pour les AFCistes ne disposant pas d'un bac suffisamment grand, il est possible qu'une simple mâchoire inférieure puisse suffire. Mais attention, une tête de vache n'est pas conforme au milieu naturel ! Assurez-vous donc auprès de votre commerçant habituel qu'il s'agit bien d'une mâchoire d'hippopotame.

Alors, c'est difficile, le fasciatus ? Une seule chose semble indispensable, c'est que la femelle dispose d'une cachette dans laquelle elle puisse entièrement entrer. Si l'hippopotame ne vous tente pas et que vous essayez avec une grosse coquille, je vous donne un dernier conseil : placez le trou du siphon du coquillage à l'horizontale ou, mieux, vers le haut, sinon les larves dégoulinent à l'extérieur.

Mes deux couples de fasciatus ont ensuite pris un honorable rythme de ponte toutes les 4 à 5 semaines. Le plus petit couple, qui pond dans un rocher creux, ne me cause aucun problème, hormis celui qui consiste à retirer les alevins de l'abri, la mère, un peu à la manière des Altolamprologus, obturant l'orifice de l'intérieur et recouvrant les larves avec son corps. Sortir les alevins est donc peu aisé, sortir la femelle l'est encore moins. Notons que cette femelle ne met pas le nez dehors tant qu'elle garde les jeunes, soit pendant environ 11 jours après la ponte.

Le deuxième couple, qui vit dans un autre bac, me cause plus de soucis. En effet, le mâle semble avoir pris la fâcheuse manie de répudier sa compagne dès l'éclosion des œufs, soit 3 jours après la ponte. Ce n'est pas pour autant qu'il s'occupe seul de sa progéniture. Je dois donc sortir la coquille et la secouer énergiquement pour tenter d'en faire sortir de minuscules larves blanches, puis faire une incubation artificielle.

Les alevins sont assez nombreux, le maximum pour l'instant étant d'environ 200. Le sac vitellin est blanc, le corps très allongé est translucide. L'élevage des alevins pose quelques problèmes en raison de leur taille et de leur relative fragilité. Des tentatives d'élevage en compagnie d'alevins d'autres espèces de lamprologiens se sont soldées par des échecs plus ou moins importants, ceci semblant dû au fait que les jeunes fasciatus restent en permanence collés au substrat (sable), les autres espèces montant prendre la nourriture. La concurrence alimentaire semble alors trop rude. Par contre des jeunes placés seuls dans un bac de 50 l ne posent aucun problème
 
 
Jeune N. fasciatus de 2 centimètres

A l'image de leurs cousins Altolamprologus, les fasciatus ont une croissance désespérément lente. Translucides et collés sur le sable, ils sont très difficiles à voir. Vers l'âge de 4 semaines, on peut toutefois remarquer l'apparition de marques corporelles leur donnant un aspect un peu marbré. Malgré leur lien de parenté évident avec les Altolamprologus, les jeunes n'ont vraiment aucune ressemblance avec leurs cousins. En fait, ce qui me frappe le plus quand je les regarde, c'est le rapport entre la longueur du corps et la distance museau-anus. Si, chez les adultes, cette distance est sensiblement égale à la moitié de la LT (longueur totale), chez les très jeunes, elle semble tout au plus égale au tiers de la LT, mais ce n'est peut-être qu'une impression d'optique. Cela leur donne un aspect assez bizarre de poisson "tout en queue". A l'âge de 2 mois, alors qu'ils mesurent 1 cm (je vous dis que ça grandit lentement ! ), ce rapport est devenu normal, les barres verticales sont de plus en plus visibles et ils ressemblent à des adultes en miniature.

Pour terminer, une dernière précision : malgré leur réputation de prédateur, je n'ai eu aucun problème avec ces poissons. Je peux même dire qu'en période de reproduction, ils sont beaucoup plus agréables à vivre que bien des espèces de lamprologiens. Mais, j'ai peut-être eu deux couples modèles !

© 2003 P.Burnel