La maintenance des M'bunas (5)

 

* Comportements inter- et intraspécifiques

Rappelons tout d'abord deux définitions:

interspécifique: entre espèces différentes,

intraspécifique: entre individus d'une même espèce.

En règle générale le comportement interspécifique est assez bon à partir du moment où les conditions de maintenance et de cohabitation sont correctes. Il est bien évident qu'un Melanochromis auratus introduit dans un bac exigu en compagnie d'un groupe de néons aura un comportement interspécifique assez déplorable ; cet exemple, extrême, est pris volontairement car il correspond tout à fait au type de maintenance offert aux M'bunas vers la fin des années 70. Par contre, le même M. auratus introduit dans un bac de 500 litres correctement aménagé et peuplé d'autres M'bunas aura très certainement un comportement satisfaisant (nous n'irons pas jusqu'à dire sociable pour cette espèces!).

Le comportement intraspécifique, par contre, est généralement assez mauvais, du moins entre mâles. Il est en effet assez difficile de faire cohabiter deux mâles dans un bac aux dimensions courantes. Par contre dans de très grands aquariums plusieurs mâles pourront se constituer des territoires suffisamment éloignés, permettant à chacun de vivre paisiblement.

Le comportement intraspécifique des femelles est, à l'inverse, tout à fait satisfaisant, sauf exceptions. Elles sont en général assez peu territoriales et évoluent dans tout le bac. En période d'incubation, par contre, elles se retirent dans les roches. Il arrive parfois que certaines femelles se constituent des territoires d'où elles chassent leurs congénères ; cette "agressivité" est toutefois sans commune mesure avec celle des mâles.
 
 

Peuplement d'un bac selon l'agressivité et la comptabilité des espèces

Si l'on ne peut nier que les M'bunas présentent une importante homogénéité en tant que groupe, et que leur robe, leur taille, leur morphologie et leur comportement sexuel ne sont grosso modo que des variations sur quelques plans de base bien définis (à l'image des Haplochrominiens des lacs Victoria et avoisinants, encore plus jeunes), il est tout aussi indéniable que leur comportement agonistique est d'une spectaculaire diversité. On entend par "comportement agonistique" toutes sortes d'interactions antagonistes entre individus, qu'elles soient pour la constitution d'un territoire, son agrandissement, la possession des femelles ou encore le rang hiérarchique, qui n'est nullement lié à la territorialité.

En effet, en dépit d'une opinion largement répandue, le degré de territorialité et d'agressivité des M'bunas est loin d'être uniforme. En fait, on observe de grandes variations dans l'assiduité à la défense d'un territoire. Certaines espèces ne sont absolument pas territoriales, alors que d'autres sont très strictement inféodées à leur propriété. Chez ces dernières, il est fréquent que les femelles soient également territoriales, ce qui est généralement le signe que cette territorialité a davantage pour objet la défense d'un espace vital. La finalité de ce type de territorialité est donc différente de celle, habituelle chez les espèces à fort dimorphisme sexuel, qui consiste à acquérir l'emplacement le plus exposé, permettant d'attirer le plus grand nombre de femelles, comme on l'observe chez certains sabulicoles du lac Tanganyika tels que Cyathopharynx furcifer ou Enantiopus melanogenys ou encore chez leurs équivalents Haplochrominiens du lac Malawi, constructeurs de cuvettes dans le sable. Chez les M'bunas à très forte territorialité, le territoire est défendu avec tant de pugnacité qu'il est fréquent qu'il s'y développe des "jardins d'algues", sortes de potagers privés réservés au seul usage du maître des lieux.

Dans d'autres cas, la territorialité est strictement intraspécifique, les individus appartenant à des espèces distinctes étant pour ainsi dire ignorés. Enfin, d'autres M'bunas, tels par exemple les Melanochromis, ne sont pas territoriaux, ce qui ne les empêche pas d'être d'une agressivité telle qu'ils sont souvent au sommet de la hiérarchie d'un aquarium. Une position qu'ils ne doivent pas qu'à leur seule combativité, mais aussi à leur taille souvent importante au sein du groupe, ainsi qu'à une technique de combat très efficace, à base de poursuites circulaires à diamètre très restreint, auxquelles peu de M'bunas de taille équivalente peuvent faire face. C'est ainsi que, contrairement à ce que croient beaucoup de cichlidophiles, si les Melanochromis sont si insupportables en aquarium, ce n'est nullement du fait de leur territorialité, mais de leur importante agressivité intra- et interspécifique.

On le voit, la hiérarchie d'un bac, et donc son harmonie, dépendent de la combinaison de plusieurs facteurs, et tout l'art de la "m'bunaphilie" consiste à savoir jongler avec ces facteurs pour maintenir plusieurs espèces entre elles. Cette maintenance doit être aussi harmonieuse que possible, c.-à-d. qu'un mâle au moins de chaque espèce doit pouvoir exhiber de temps à autre ses plus belles couleurs (il est là pour ça), et se reproduire sans se faire "piquer" les femelles par un malabar d'une autre espèce. Les facteurs à prendre en considération pour le peuplement d'un bac sont donc :


A titre d'exemple, voici quelques ensembles d'espèces classées en fonctions de certains des critères ci-dessus :

1/ Espèces de grande taille, très souvent hégémoniques dans un bac, même de grande taille (classification basée sur les tailles atteintes en aquarium) :

Genre Petrotilapia, Pseudotropheus crabro, Labeotropheus fuelleborni, Grands Melanochromis (chipokae, parallelus, vermivorus), Pseudotropheus elegans, "Melanochromis" labrosus, Maylandia zebra et espèces apparentées, Maylandia lombardoi, Maylandia hajomaylandi, Pseudotropheus elongatus var. "aggressive"

A l'autre bout de la chaîne, on trouve les espèces telles que Cynotilapia sp. "lion", divers Labidochromis, Cynotilapia sp. "labidochromis hongi", Pseudotropheus lanisticola, etc.

2/ Espèces fortement territoriales, presque toujours souveraines sur leur domaine en l'absence de compétiteurs de taille nettement supérieure:

Pseudotropheus sp. "aggressive yellow fin", Maylandia lombardoi, Pseudotropheus elongatus var. "aggressive", Pseudotropheus sp. "Kingsizei poulpican", Cynotilapia sp. "lion", Pseudotropheus sp. "elongatus chewere", Pseudotropheus tursiops, Maylandia barlowi, Pseudotropheus aurora.

Parmi les espèces quasiment dépourvues de territorialité, on trouve tous les vrais Melanochromis (auratus, chipokae, parallelus...), ainsi que certains faux, tels que Pseudotropheus crabro et M. labrosus. De même, de nombreux "Pseudotropheus", en particulier les espèces du groupe Tropheops, sont peu ou pas territoriales. Les espèces du groupe zebra ne sont pratiquement territoriales qu'à l'égard de leurs congénères ou d'autres membres du complexe.

3/ Espèces à forte intolérance intraspécifique (qui s'accompagne quasiment toujours d'une certaine intolérance interspécifique, quoique moindre, sauf, bien entendu, à l'égard des espèces très proches):

M. lombardoi, Pseudotropheus sp. "aggressive yellow fin", les vrais Melanochromis, diverses espèces du groupe Tropheops (microstoma, sp. "redcheek", etc.), Pseudotropheus elongatus var. "aggressive",

Certains petits Cynotilapia ou même Labidochromis (par ex. L. chisumulae) peuvent se retrouver dans ce groupe, mais leur intolérance passe généralement inaperçue, les bacs étant relativement grands pour eux.

C'est ce dernier caractère qui détermine la propension qu'auront certaines espèces à s'entre-tuer (y compris les femelles). Il explique en particulier pourquoi les Melanochromis ont un caractère si difficile alors qu'ils ne sont pas territoriaux (même si certains spécimens peuvent avoir une cachette de prédilection dans laquelle ils déblaieront volontiers le sable).

4/ Espèces plus efficaces au combat, ayant le plus souvent le dessus à taille égale:

- 4a - Espèces très vives (poursuites circulaires, harcèlement):

Pseudotropheus sp. "Kingsizei poulpican", Melanochromis auratus et autres Melanochromis, certains Pseudotropheus de l'artificiel "groupe elongatus", M. barlowi, Pseudotropheus williamsi et apparentés, Certains Labidochromis.

- 4b - Espèces à morsure redoutable ou à denture très abrasive:

Pseudotropheus sp. "aggressive yellow fin", Petrotilapia,M. lombardoi,Pseudotropheus microstoma, Pseudotropheus elongatus var. "aggressive",

On imagine sans peine la multitude de possibilités hiérarchiques et territoriales que l'on peut trouver dans un aquarium en combinant ces différentes espèces, le premier facteur à prendre en considération étant la taille du bac. Le jeu consiste à se servir un peu partout dans ces différentes catégories, en ne perdant jamais de vue les règles essentielles énoncées plus haut concernant l'hybridation et la "prise de couleurs". Bien entendu, il est préférable d'éviter de ne prendre que des individus à caractères extrêmes, tout comme il serait dommage de les éviter systématiquement : votre bac à M'bunas perdrait une bonne part de son attrait.
 
 

Cohabitation avec des non-m'bunas :

Même si l'on a coutume de tenir les M'bunas entre eux, cette ségrégation n'est absolument pas nécessaire, ils peuvent cohabiter avec toutes sortes d'autres poissons. Dans un grand bac correctement peuplé, la principale source de tracas ne vient pas de l'agressivité des M'bunas, mais plutôt de la propension de certains d'entre eux (juvéniles, surtout) à mordiller les nageoires des autres poissons. Voici quelques exemples de poissons pouvant être tenus avec succès en compagnie des M'bunas :

Cichlidés du lac Malawi : Aulonocara jacobfreibergi, d'une agressivité comparable à celles de nombreux M'bunas, divers grands "Haplos" non territoriaux (Placidochromis electra, Cyrtocara moorii, etc.). Ces derniers peuvent toutefois avoir des difficultés à se reproduire, de nombreux M'bunas étant enclins à leur voler les œufs au moment des pontes (en particulier les Melanochromis).

Cichlidés du lac Tanganyika : Tropheus, à condition de les introduire après les M'bunas. Eviter les Simochromis et les Petrochromis, qui finissent toujours par dominer les M'bunas du fait de leur grande taille, et dont la tolérance est épouvantable à l'égard de tout ce qui leur ressemble de près ou de loin. Divers pondeurs sur substrat sont à peu près ignorés par les M'bunas, mais en cas de formation de couple, leurs quenottes acérées peuvent faire des ravages sur le tégument des M'bunas lorsque la densité de peuplement est trop élevée.

Autres Cichlidés : divers fluviatiles africains et néotropicaux peuvent cohabiter avec des M'bunas de taille similaire, mais l'agencement d'aquarium qu'ils réclament est souvent peu compatible.

La cohabitation avec nombre de non-Cichlidés est des plus esthétique : celle avec des poissons-chats fait de plus en plus d'adeptes. Citons parmi ceux-ci Synodontis multipunctatus, qui, à l'instar du coucou chez les oiseaux, fait incuber ses œufs par des femelles de Cichlidés du lac Tanganyika en milieu naturel, mais qui apprécie beaucoup les M'bunas en aquarium ou encore S. nyassae pour les amateurs de bacs régionaux; divers plécostomes (Hypostomus, Glyptoperichthys, Panaque, et divers ancistrinés, dont la vogue est actuellement croissante).

Certains grands characoïdes (Leporinus, Anostomus, Abramites, Metynnis), ainsi que cyprinoïdes (Labeo, Epalzeorhynchus, Barbus, Balantiocheilus, Gyrinocheilus) font merveille, leur morphologie étant suffisamment opposée à celle des M'bunas pour rompre la monotonie. Le clou est constitué par les tétrodons d'eau douce tels que Tetraodon mbu, Tetraodon fahaka, Tetraodon miurus, T.leiurus, T. cutcutia, etc. Mais la cohabitation est à très haut risque pour les M'bunas, beaucoup de tétrodons étant plus redoutables qu'une meute de piranhas, leur morsure étant exceptionnellement puissante. Avec certains individus particulièrement mordeurs, "Massacre à la tronçonneuse" prend des allures de conte de fées pour enfants en comparaison.

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