Ophrys hyb

La Belle Inconnue du bois du Rouquan

Mardi 18 avril 2000, Sainte Maxime - Var.
Je sais, je ne devrais pas.
J'ai passé mon lundi chez Jean-Claude Nourissat et je sais que, aujourd'hui, Michel Démares (Responsable de la cartographie Haut-Normande) descend des Alpes vers Palayson où il doit retrouver Nicolas Cottard (un autre de la SFO, ancien responsable régional de l'AFC il y a quelques années) pour une sortie orchidophile.
Je ne devrais pas "abandoner" ma chère et tendre moitié un jour de plus.
Je ne devrais pas..... mais le soleil se montre enfin sur le Var après une semaine de pluies.
Je ne devrais pas mais puisqu'elle peut se prélasser sur la plage....... moi j'ai du mal à me vautrer inactif.
Je ne devrais pas mais à 12h40 je prends ma voiture, j'appelle Nicolas sur son portable - M... répondeur ! Je sais que je ne retrouverai pas Michel et Nicolas. Ou alors, ce sera un miracle.

Je prends une route, que je ne prends jamais et... une voiture 76, un autocollant SFO !!! Michel et Nicolas !!! Miracle !
J'étais parti pour aller à Palayson. Nous décidons de nous rendre vers Vidauban, puis le bois du Rouquan, Nicolas m'a indiqué là, quelques jours auparavant une station sur laquelle j'ai vu ensuite des Ophrys que je n'arrive pas à identifier. O. passionis peut-être. Je veux les montrer à Michel qui veut aussi revoir les O. incubacea

Après Vidauban nous nous arrêtons à une station d'O. incubacea. Nous repartons, je suis devant, ils suivent. J'arrive enfin à notre objectif. Plus personne derrière moi. J'attends, rien ! Je repars en sens inverse, jusqu'à la première station, rien. De nouveau demi-tour et là, je vois leur voiture, cachée derrière une citerne, c'est malin ! Je m'arrête, Nicolas me fait des grands signes.
"Qu'avez- vous trouvé ?"
"Je ne sais pas, viens voir"
"P'tain, c'est quoi ce truc là ?"
Michel pense à un hybride entre O. splendida et O. scolopax (ou incubacea ? Je ne sais plus, les trois espèces sont bien présentes sur la station).
y a trois pieds, 2 à sépales verdâtres, un à sépales roses. La taille des fleurs est importante. Moi, je pense à O. tenthredinifera. C'est complètement idiot comme supposition d'autant que je ne connais pas l'espèce. En France on ne la trouve que dans l'Aude, les Pyrénnées-Orientales et la Corse. En plus, les photos que j'ai ne correspondent pas vraiment, enfin, pas tout à fait. Donc, je ne dis rien, de peur de dire une ânerie.
Je fais des photos : 4 . Pourquoi si peu. Je suis vraiment con.

Michel et Nicolas, en position orchidophile typique.Il y a tellement d'Ophrys qu'il faut faire attention où on met les pieds.

Jeudi 20 avril 2000. Je vais vers les Mayons pour photographier Orchis papilionacea. En chemin je vois un photographe à plat ventre dans l'herbe. La position typique de l'orchidophile. Je m'arrête. C'est un naturaliste belge, Van Looken, et son labo photo ambulant. Il est déçu, il n'a pas trouvé grand chose. Nous discutons, très sympa. Je lui indique l'Ophrys bizarre, il est content. Nous nous y retrouverons un peu plus tard.
Son hypothèse : incubacea x scolopax ! Avec son accent belge "C'est une très belle plante"
Je ne suis pas très convaincu. Le champ basal est vraiment rouge, O. provincialis semble être "dans le coup". Mais pour le reste ??????? Je pense toujours à tenthredinifera !

Mardi 2 mai 2000. Je suis rentré depuis un peu plus d'une semaine, les diapos sont développées. Des scans sont envoyés à Pierre-Michel Blais le responsable de la cartographie du Var et Webmaster du site (remarquable) sur les orchidées varoises (site dans lequel je n'ai rien trouvé de ressemblant !!!).
Il me répond :
<<Ah! Décidément, tout le monde ne parle plus que de ces 2 (3 pour toi : il y en aurait un qui aurait disparu entre ton passage (quelle date exactement ?) et celui de Thierry Pain et et d'Errol Vela vers le 23 avril, et le mien le jeudi 27 avril (2 pieds en fin de floraison). Là, tout le monde crie au secours, et ça part dans tous les coins : O. tenthredinifera, O. tenthredinifera X O. atrata, O. tenthredinifera X ?, en tout cas sûrement pas O. scolopax X O. incubacea (quoique...). Je n'ai pas encore reçu mes diapos de la bête (Kodachrome 64), mais d'après le terrain (et avec l'avis de 2 Orchidophiles néerlandais qui étaient venus me voir), il y a quand même beaucoup de l'Ophrys tenthredinifera dans ces spécimens. Peut-être O. tenthredinifera ssp. villosa (cf. le Delforge, mais il vient du Portugal), peut-être un hybride O. tenthredinifera X O. incubacea, mais je ne vois pas trop O. incubacea dans les fleurs que j'ai vues, mais c'étaient les dernières. Ça serait un peu plus net sur ta photo 1, avec les petites gibbosités et la macule allongée, les pétales verts et les sépales verdâtres. Pourquoi pas, c'est une piste sérieuse. Mais d'où vient-il, car si O. incubacea est sur la station, O. tenthredinifera n'est pas connu à moins de 250 km : je doute que les petites abeilles fassent autant de chemin avec les pollinies sur la tête...
Quelques hypothèses : plantation sauvage (mais pourquoi à cet endroit un peu perdu ?), amusement d'une fécondation croisée avec des pollinies venant d'ailleurs et par des mains toutes humaines, lâché accidentel ou volontaire de graines (boue de semelle, récolte...). En tout cas cette station est HYPER COURUE par les Orchidophiles de l'Europe (Monde) entière, et donc toutes ces hypothèses sont valables potentiellement. Mais, vu aussi le nombre de spécialistes qui passent par là (dont moi de temps en temps), il paraît acquis que c'est la première année de floraison, ou une des premières années.
Je crois qu'il va falloir faire un forum de discussion sur les Orchidées importées du Var, car après Limodorum trabutianum de Cavalaire (à côté d'un camping fréquenté par des botanistes / orchidophiles), l'Orchis brancifortii de St-Cyr-sur-Mer (station très connue et fréquentée depuis 20 ans), voici une autre énigme de la propagation des orchidées par sauts successifs... A en perdre parfois son maigre latin... >>

Voilà, la Belle Inconnue risque de faire encore couler beaucoup d'encre.

En plus, elle est VRAIMENT belle !

Epilogue : La "belle" a effectivement fait couler beaucoup d'encre. L'hypothèse la plus probable est une hybridation manuelle entre tenthredinifera et ??? (provincialis ???).
De toute manière cela n'a plus aucune importance puisque tous ceux qui sont retournés sur le site en 2001 on pu constater que la station a été entièrement détruite pour la construction d'un lotissement... adieu la belle !