Ophthalmotilapia
et apparentés
maintenance et reproduction |
Article publié dans la RFC 108 &
109 (04 & 05/1991)
Réactualisé en octobre 2000
Les Allemands les appellent "Fadenmaulbrutern", que l'on pourrait traduire par "incubateurs buccaux à filaments". Les Anglais les ont surnommés "feather-fins cichlids", soit "Cichlidés à nageoires en forme de plumes".
Il s'agit de Cichlidés endémiques du lac Tanganyika et qui ont tous pour point commun un fort allongement des nageoires pelviennes, dont l'extrémité est fréquemment jaune. Ces Cichlidés sont regroupés dans quatre genres : Ophthalmotilapia, Cunningtonia, Cyathopharynx et Aulonocranus. Ces quatre genres font partie de la tribu des Ectodini, à laquelle sont également intégrés les genres Callochromis, Xenotilapia, Enantiopus pour les plus communs, et Ectodus, Cardiopharynx, Lestradea, Asprotilapia, Grammatotria et Microdontochromis pour les moins communs. La passion que les cichlidophiles éprouvent pour ces poissons est relativement récente disons guère plus d'une dizaine d'années. En effet, leur coloration très modeste dans un bac de vente et leur relative difficulté d'adaptation à la captivité n'en faisaient pas des poissons très recherchés. L'attrait de quelques-uns pour toutes les nouveautés permit toutefois aux exportateurs de nous envoyer ces "grandes-nageoires" (en matière d'aquariophilie, c'est bien souvent la demande qui provoque l'offre) et maintenant ils sont assez communs dans les quelques commerces spécialisés en Cichlidés sauvages.
Les progrès que nous avons réalisés dans la connaissance de ces Cichlidés et de leurs biotopes permit de mieux acclimater ces merveilles, merveilles au niveau des couleurs, mais aussi du comportement. En fait, ils réunissent tout ce que recherche l'aquariophile : la beauté physique et comportementale, avec un petit "plus", qui est l'allongement des nageoires pelviennes et qui leur donne une si grande élégance. De plus, leur reproduction, qui était considérée comme délicate, ajoutait du piment à l'affaire. On se rend compte à présent qu'il n'en est rien et que, maintenus dans de bonnes conditions, ils assureront assez vite leur descendance.
Le problème essentiel est la taille du bac.
Bac à Anvers (1989)
Pour ces poissons, rien n'est trop grand, et il nous parait qu'un bac de 500 l constitue un minimum. Avec 800 l, c'est mieux mais encore imparfait. A partir de 1000 l, ça commence à devenir sérieux. En effet, malgré leur taille relativement modeste, il s'agit de grands nageurs qui ont besoin de beaucoup d'espace. Leur comportement est également un des faits qui impose de grands volumes. En effet, ils demandent à être maintenus en groupe constitué de un ou deux mâles pour un bon troupeau de femelles. En cela, ils se rapprochent des Tropheus, toutefois leur agressivité intraspécifique est moindre, le mâle dominant se contentant de poursuites en général sans conséquences. Ces poursuites peuvent toutefois se révéler très stressantes pour les dominés, qui sont relégués à une extrémité du bac. Ainsi, chez moi, un groupe de six O. heterodonta (2 mâles et 4 femelles) vivaient dans un bac dont la longueur utile est de 2,30 m ; le mâle dominant, qui entretenait un cratère à une des extrémités, avait un territoire d'une longueur de 1,50 m. Il ne restait donc que 80 cm pour les cinq autres sujets. Le deuxième mâle ne s'aventurait pratiquement jamais sur le territoire de l'autre. Même les femelles ne pouvaient y poser une nageoire que si elles étaient prêtes à se reproduire. De temps à autre, le dominant faisait une virée hors de son territoire pour pourchasser violemment ses congénères.
Le nombre élevé de sujets permet de diviser par autant le nombre de coups reçus par un seul individu. Lors de la maintenance en couple, une femelle seule peut être suffisamment stressée pour qu'il n'y ait pas de ponte.
L'aménagement du bac est également important. Il s'agit pour un certain nombre de ces poissons d'espèces pétricoles. Cela ne signifie pas que l'on doive les tenir dans un amas de roches, au contraire, une grande plage de sable fin est indispensable pour leur permettre de construire un cratère où aura lieu la ponte. L'espace ainsi dégagé leur sera, d'autre part, utile pour leurs déplacements. Des roches pourront être placées sur la périphérie, elles serviront d'abris aux éventuels dominés, ainsi qu'à quelques espèces peu agressives, des lamprologiens de taille modérée par exemple. Le fait que ces roches servent d'abri pour nos poissons en aquarium n'est pas du tout conforme à ce qui peut être observé dans la nature - En effet, si les mâles édifient des cratères dans le sable, les femelles, par contre, évoluent en pleine eau à une certaine distance des mâles. Pour elles, la sécurité, c'est l'espace de fuite, ce qui ne peut être réalisé dans un aquarium de taille toujours modeste, donc pour nous, la sécurité sera obtenue à l'aide des roches et du nombre d'individus.
Le bien-être de nos poissons
passe également par la qualité de l'eau.
Celle-ci devra être parfaitement cristalline, bien oxygénée,
et son pH devra être franchement alcalin (si possible supérieur
à 8,5). L'utilisation de sels du Tanganyika me paraît indispensable,
au moins pour l'acclimatation de sujets sauvages. C'est d'ailleurs pour
"décoincer" des sujets sauvages un peu récalcitrants que
j'avais mis au point ma formule de sels
du Tanganyika.
La filtration doit être énergique,
environ 3 fois le volume du bac. Les filtres intégrés (à
décantation) ou, mieux, les filtres semi-humides, me paraissent
de bonnes solutions.
En milieu naturel, l'alimentation
de ce type de poissons est essentiellement composé de plancton pour
les Ophthalmotilapia
et
Cyathopharynx
avec, selon les espèces,
une légère tendance à picorer les algues recouvrant
le substrat, ce qui permet d'avoir aussi bien un apport en matière
végétale qu'en matière animale (crustacés).
Deux espèces se distinguent par
leur mode alimentaire : Cunningtonia longiventralis, qui est essentiellement
un brouteur et Aulonocranus dewindti qui, à l'inverse, ne
consomme absolument pas les algues et se contente de se nourrir d'invertébrés
et insectes. Evidemment, en aquarium, ce genre de distinction nutritionnelle
n'a pas cours, et nous alimentons généralement tous nos pensionnaires
de la même manière, qu'il s'agisse d'ophthalmos, de lampros
ou de Tropheus ce qui est, de toute évidence, une erreur
et il serait beaucoup plus logique de tenir compte des comportements alimentaires
pour constituer les populations des aquariums.
Pour les poissons dont il est ici question,
le cap délicat est celui de l'acclimatation, et il me semble que
lors de cette période, l'alimentation idéale soit constituée
par des artémias congelées, ainsi que tout plancton de mare,
également congelé. Dans les cas vraiment très difficiles,
on peut éventuellement envisager le plancton vivant, mais il présente
un très gros risque, qui est l'introduction d'agents pathogènes.
Une fois que vos nouveaux pensionnaires se seront acclimatés vous pourrez leur distribuer des nourritures un peu plus classiques et moins onéreuses. Les mixtures habituellement données aux Cichlidés sont très bien acceptées.
Une autre nourriture, que je considère comme excellente, est le Tetra Doromin. Certains aquariophiles hésitent à en donner à leurs pensionnaires, en raison de la dureté des "nouilles" ; il convient simplement de les faire tremper dans de l'eau tiède pendant quelques minutes pour les ramollir. Les poissons s'y adaptent assez rapidement bien qu'au départ, ils fassent un peu la moue. Pour des alevins, on peut réduire les "nouilles" en poudre à la moulinette, ce qui permettra de varier l'ordinaire ou de servir de dépannage en cas de pénurie d'artémias ou de plancton. Le Doromin ramolli et légèrement émietté est une nourriture complémentaire très bien acceptée par les ophthalmos et apparentés, mais également par des poissons exclusivement planctophages, comme les Cyprichromis qui peuvent se nourrir des très fines particules en suspension dans l'eau.
Cohabitation :
Quand toutes les conditions de maintenance
seront remplies de façon optimale, vous devriez normalement ne pas
tarder à obtenir des pontes; mais malheureusement, tout ne va pas
toujours comme on le voudrait, et certains poissons s'obstinent à
ne pas vouloir assurer leur descendance. La solution est, à mon
avis, à chercher dans l'environnement des poissons et, bien souvent,
des cohabitants. Ainsi, j'ai pu remarquer que deux espèces au comportement
reproducteur trop proche et maintenues ensemble pouvaient avoir un comportement
tel qu'aucune reproduction n'était possible.
J'ai, à plusieurs reprises, tenté
l'expérience de maintenir deux espèces dans le même
bac, au mieux un mâle domine et se reproduit normalement avec ses
femelles mais empêche toute reproduction de l'autre espèce.
Au pire, les deux espèces s'annulent et aucune reproduction n'a
lieu.
Ainsi, par exemple, la maintenance conjointe de Aulonocranus dewindti et Ophthalmotilapia nasuta s'estdéroulée de la façon suivante : Dans un premier temps, le dewindti était le dominant, il entretenait un grand cratère, et les pontes étaient effectuées sans problème. Puis, du jour au lendemain, le nasuta, qui devait en avoir assez de se faire tyranniser par quelqu'un de plus petit que lui, devint le maître du bac, pourchassant aussi bien sa femelle que les dewindti. Il se mit alors à occuper le territoire de ce dernier qui, faute de place, ne put constituer un nouveau cratère. Après ce changement de comportement, les dewindti ont tenté à plusieurs reprises d'assurer leur descendance, à chaque fois sans succès, puisque le nasuta chassait le mâle dès qu'il frétillait devant la femelle. Evidemment on pourrait espérer dans ce cas obtenir des pontes de nasuta mais ce n'était, hélas, pas le cas, puisque le mâle était tellement tyrannique que la femelle ne sortait de derrière une grosse roche que pour se nourrir. J'ai pu observer le même type de comportement chez un ami qui maintenait dans le même aquarium un couple de dewindti et un mâle Ophthalmotilapia ventralis "chaïtika". Les dewindti n'ont pas encore pondu mais le ventralis, dominant, n'hésite pas à parader devant la femelle dewindti. Chez un autre aquariophile, c'est un mâle Cunningtonia longiventralis qui dominait des Ophthalmotilapia ventralis "maka". Récemment j'ai également fait une mauvaise expérience de maintenance conjointe entre Ophthalmotilapia nasuta et Cyathopharynx cf foae.
Ces exemples montrent à quel point
la réussite ou l'échec des reproductions peut dépendre
de l'environnement d'un couple et, par conséquent, de son état
psychologique. Oui, je sais, ça fait toujours rire de parler d'état
psychologique d'un poisson, et pourtant je suis vraiment convaincu que
de nombreux échecs qui ne peuvent être expliqués par
un problème de maintenance sont en réalité dus à
des problèmes de cohabitation inter- ou intra-spécifique,
qui échappent souvent à l'observateur peu attentif. Il faut
également admettre que même pour un aquariophile très
attentif, certains problèmes passent totalement inaperçus.
En conséquence, je ne peux que recommander de ne placer dans un
aquarium de taille normale qu'une seule espèce de ces poissons à
grandes nageoires.
Reproduction :
Comme je l'ai dit au début de cet
article, la caractéristique commune à ces espèces
est le fort allongement des pelviennes, qui se terminent parfois par des
palettes jaunes, semblables à des œufs mais qui sont plus fréquemment
simplement jaunes avec un élargissement plus ou moins marqué.
A.
dewindti est l'espèce présentant l'allongement le plus
faible avec extrémité pointue et jaune. L'extrémité
de ces pelviennes constituent sans aucun doute un attracteur sexuel. L'utilité
de ces palettes a été discuté (Tawil P., 1991. RFC
n° 109).
Toutefois, les modes de reproductions
ne sont pas identiques pour toutes les espèces. Ainsi chez O.
ventralis et boops il y a très nettement contact assez
proche des partenaires, la femelle prenant en bouche les palettes du mâle.
Par contre chez des espèces comme O. heterodonta ou A.
dewindti qui n'ont pas réellement de palettes mais de simples
extrémités jaunes, il n'y a pas de contact direct.
Phases de reproduction chez O. ventralis :
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les palettes |
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Un autre point commun à ces espèces est la constitution d'un nid, du moins en aquarium, car en milieu naturel, les ventralis pondent en général sur une grosse pierre sur laquelle a éventuellement été déposé un peu de sable. Les mâles nasuta également utilisent de grosses pierres, sur lesquelles ils déposent du sable afin d'y édifier le nid. Cette élévation du site de ponte permet ainsi aux mâles de se rapprocher des femelles qui évoluent en pleine eau, les mâles les plus forts étant sur les pierres les plus élevées. Ce type de comportement a également été observé chez certains Cyathopharynx. En aquarium, ces espèces construiront un nid creusé dans le sable. Par contre les O. heterodonta, Aulonocranus et Cunningtonia construisent toujours un nid adossé à une roche.
La construction de ce nid est semblable
pour toutes les espèces. Dans un premier temps, le mâle commence
par creuser à partir du centre du futur cratère pour déposer
le sable sur le pourtour ensuite, si l'épaisseur de sable dans le
bac
est insuffisante, il va en chercher un peu plus loin pour le déposer
au centre et le remonter ensuite sur les rebords. Il pourra ainsi vous
nettoyer entièrement la glace du fond, à l'exception du cratère,
qui atteindra ainsi des dimensions tout à fait respectables. J'ai
pu voir des nids d'environ 50 cm de diamètre pour une profondeur
de 10 à 15 cm.
Le poisson passera beaucoup de temps à
édifier cet ouvrage, qu'il entretiendra en permanence et qu'il défendra
vaillamment contre les autres poissons, et plus particulièrement
ses congénères. En milieu naturel, les femelles et les mâles
immatures évoluent à l'écart des mâles dominants,
généralement en pleine eau, en bancs parfois importants.
Quand une femelle approche du territoire d'un mâle, celui-ci tente
de la séduire par une nage pilote constituée de vibrations
intenses de tout le corps, les nageoires étant collées au
corps. A l'inverse, un autre mâle sera chassé par des manœuvres
d'intimidation toutes nageoires déployées.
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C'est souvent uniquement lors de la parade que le mâle vous fera voir ses plus belles couleurs. C'est pourquoi, il est vraiment très intéressant d'acquérir un groupe de 6 ou 7 jeunes en espérant avoir un assez grand nombre de femelles, même si vous ne souhaitez pas pratiquer la reproduction (vous n'êtes pas obligé de recueillir les jeunes, ils finiront bien par se faire manger). Il faut quand même admettre que conserver ces poissons dans un aquarium sans pouvoir les admirer dans leur robe nuptiale et observer leur comportement reproducteur constitue, à mon avis, un beau gâchis. La période de la pleine Lune est très propice pour les pontes, mais sans que cela ne constitue une généralité. J'ai également pu observer que si les mâles sont assez ternes l'après-midi, ils sont par contre souvent très beaux le matin et c'est, semble-t-il, dans les premières heures de la journée que leur activité est la plus intense et ceci, même en l'absence de femelle prête à pondre.
La femelle gravide sera introduite dans
le nid où les œufs seront déposés puis fécondés
par le mâle. Selon les espèces les oeufs sont fécondés
dans la bouche maternelle (o.ventralis par ex.) pour lors de la
déposition dans le cratère qui a été au préalable
ensemencé par le mâle (A. dewindti par ex.). Quant
à O. heterodonta on peut estimer qu'il a un comportement
intermédiaire car si les pelviennes sont bien présentées,
il n'y a pas de contact aussi étroit que chez O. ventralis.
Après de multiples va-et-vient
du couple dans le nid, la femelle se retire pour incuber tranquillement
pendant environ 4 semaines, parfois plus, selon qu'elle sent ou non sa
progéniture en sécurité après le lâcher.
L'évolution des jeunes à l'intérieur de la cavité
buccale peut être assez facilement observée à travers
la membrane de la mâchoire inférieure et, en fin d'incubation,
on peut voir les alevins frétillant et cherchant la sortie. Une
femelle en incubation s'intégrera au groupe, qui constituera pour
elle un facteur sécurisant face au mâle dominant. Par contre,
dans le cas d'un couple isolé, la femelle se retirera derrière
des roches, où elle sera à l'abri des ardeurs de son compagnon.
Une fois libérés de la cavité buccale maternelle,
les jeunes, qui mesurent une quinzaine de millimètres, se rassemblent
à la surface en formant un banc assez homogène. J'ai pu remarquer
que hormis les coins supérieurs, toujours très appréciés
des poissons dominés, l'endroit le plus utilisé par ces bancs
de jeunes était la sortie de la pompe, que ce soit en bac d'ensemble
ou en bac d'élevage. Ils y trouvent vraisemblablement un taux d'oxygène
correspondant à leurs exigences. L'élevage ne pose guère
de problèmes, le plancton congelé et les artémias
sont très appréciés. La croissance est assez bonne
sans être exceptionnelle. Les jeunes poissons sont matures vers l'âge
d'un an, mais il leur faudra bien deux ans pour atteindre vraiment une
belle taille. Une reproduction à partir d'un couple permet ainsi
d'obtenir au bout de deux ans un joli petit groupe dans lequel paradera
un mâle dominant au sommet de sa splendeur, et qui fera votre fierté.