Merci à Corto pour
sa lecture critique de mon texte
Nombreuses sont les questions
relatives à la cohabitation de diverses espèces posées
dans les forums, groupes de discussions du web ou courrier des lecteurs
de magazines aquariophiles. Ce sont souvent les mêmes interrogations,
d'ailleurs !
" Mon bac de 200 litres
héberge un couple de Pseudomachin, un trio de Bidulochromis
et un groupe de cinq Machinocara. Puis-je ajouter un couple
de Trucogramma? "
Il est toujours bien difficile
de répondre à ces questions car de nombreux paramètres
entrent en jeu. Le volume du bac bien sûr et les espèces déjà
présentes mais également l'agencement de la décoration.
Il est malaisé d’évaluer ce dernier élément
à distance car il n’est pas facile d'imaginer à quoi ressemble
l’aquarium que l'on vous décrit, tout au plus peut-on en avoir une
vague idée.
L'objectif de cet article
n'est donc pas de donner des règles absolues, infaillibles, mais
plutôt des bases, de façon à ce que chacun puisse se
forger sa propre expérience, mais en partant du bon pied.
Bien sûr, toute règle
étant faite pour être transgressée, vous trouverez
toujours quelqu'un pour vous dire que chez lui " ça marche, donc
c'est bien ". C'est vrai que tout peut être fait, mais tout n'est
pas forcément bon à faire.
Je vais tenter ici de vous
faire part de mes expériences personnelles (toujours modestes car
il y a tant à apprendre) dans la maintenance des Cichlidés,
en vous indiquant des règles n'ayant qu'un seul but : vous aider
à comprendre "comment ça marche". J'ai déjà
partiellement abordé le problème dans un autre article "Cichlidés,
maintenance et taille du bac" mais je souhaite ici développer
en ne me contentant pas, comme je l'avais fait précédemment,
de traiter du rapport " taille des poissons / taille du bac ".
La qualité de
l'eau :
Evidemment, c'est le premier
critère pour une cohabitation réussie. Il n’est nullement
question d'élever dans le même aquarium des espèces
aux exigences opposées. Pas de "Tanganyika" (pH alcalin) avec des
fluviatiles africains (pH acide, eau très douce) par exemple. Ne
négligeons pas le fait que les poissons s'adaptent assez bien à
des qualités d'eau différentes à partir du moment
où on ne leur impose pas des conditions extrêmes, mais si
on veut que tous les poissons soient " heureux ", ils doivent tous bénéficier
des paramètres physico-chimiques s'approchant au mieux de leur milieu
d'origine. Je ne vais pas m'étendre sur ce sujet, car la première
des choses auxquelles on doit penser en achetant un poisson c'est "l'eau
dont je dispose leur conviendra-t-elle ? " Encore faut-il avoir des notions
de base concernant les paramètres de leur biotope.
C'est la règle la
plus facile à respecter. On peut se reporter au tableau des qualités
d'eau dans l'article "L'eau et les Cichlidés".
Bien sûr, il est parfaitement possible de faire cohabiter, selon
ce point de vue, des espèces exigeant le même type d’eau mais
originaires de contrées éloignées (Amazonie et Afrique
de l'ouest par ex.). Toutefois, les puristes préfèrent maintenir,
dans un même aquarium, des espèces originaires des mêmes
régions.
Incompatibilité
de taille relative des poissons entre eux :
Encore une règle facile
à respecter : les Cichlidés étant souvent des poissons
territoriaux (au moins pendant la phase de reproduction), il est inconcevable
de faire cohabiter des poissons de 25 cm avec d'autres de 6 ou 7, du moins
sans conséquence pour ces derniers. Ces conséquences ne sont
pas toujours faciles à évaluer : une cohabitation hasardeuse
peut aboutir à un poisson qui se fait purement et simplement dévorer
(au moins on sait à quoi s'en tenir) ou, plus sournoisement, à
un poisson dominé qui n'arrive pas à se reproduire (conséquence
parfois difficile à évaluer). Il arrive parfois que ce soit
le petit casse-pied qui gêne le gros calme, mais ceci est une autre
histoire.
On évitera donc d’associer
la proie avec son prédateur.
Parler " d’incompatibilité
de taille " englobe non seulement la notion de taille relative des poissons
entre eux, mais également l’incompatibilité liée au
rapport taille des poissons/volume de l’aquarium les hébergeant
? On lit, dans certaines revues, que des "aquariophiles" maintiennent 3
Nimbochromis livingstonii (25 cm) dans un bac de 240 litres ! C'est
aberrant...
La moindre des choses est
de se renseigner sur la taille des poissons
adultes mais également
sur leur besoin en espace (espace pour lequel on doit également
tenir compte de leur comportement ; un lamprologue de 15 cm a besoin de
moins d'espace qu'un Ophthalmotilapia de la même taille. cf
paragraphe "Incompatibilités comportementales"). Comment ne pas
être sidéré par la détention de certains énormes
"Cichlasoma" d'Amérique centrale dans des bacs de 300 ou
400 litres quand on a pu apprécier leur beauté dans des piscines
de 15000 litres où ils vivent en parfaite harmonie, sans même
une écaille arrachée. Si on peut envisager un bac spécifique
de 400 litres pour un couple formé, ce volume est totalement irréaliste
pour un bac d'ensemble.
Le conseil sage est : avant
d'acheter des poissons il faut se renseigner sur leur taille adulte ET
sur leur comportement. On conseille habituellement, et en moyenne, de maintenir
les Cichlidés de façon à ce qu'ils bénéficient
de 3 à 4 litres d'eau par centimètre de poisson adulte.
Incompatibilités
alimentaires :
Dans la mesure où
les Cichlidés s'adaptent assez bien aux nourritures de substitution
que nous leur proposons, les différences nutritionnelles observées
dans la nature sont amenuisées. Toutefois, certaines espèces
comme les Tropheus, qui ne doivent être alimentées
que sur une base végétale sous peine de problèmes
intestinaux, ne devraient pas être maintenues avec des espèces
se nourrissant de crustacés ou de petits poissons, tels que les
lamprologiens. On en déduit que le bac de
Tropheus sera de
préférence un bac spécifique sous peine de nourrir
mal soit les Tropheus soit leurs colocataires nécessitant
une nourriture non végétale. On pourrait également
adopter cette règle pour les M'bunas mais ils sont moins délicats
que leurs homologues du Tanganyika. Quelques espèces planctophages
sont également à surveiller du fait de leur exigence en nourriture
très fine : Cyprichromini (Tanganyika) et Chaetobranchini (Amérique
du Sud) par exemple.
Incompatibilités
comportementales :
Nous abordons là les
choses sérieuses. Bien sûr, on peut classer dans ce paragraphe,
le rapport "proie/prédateur" ; mais il s'agit d’analyser à
présent des critères comportementaux plutôt liés
au caractère propre de chaque espèce (ou groupe d'espèces)
qu’à son mode d’alimentation. Ainsi, des espèces pourtant
de taille identique risquent de ne pas pouvoir cohabiter sereinement en
raison de comportements trop antagonistes ; le cas extrême étant
la petite espèce teigneuse qui terrorise la grande espèce
placide dans un bac mal adapté. Sans aller jusqu'au "terrorisme",
il y a l'espèce très remuante qui passe son temps à
s’agiter dans tous les coins et à chicaner les autres en leur croquant
éventuellement un bout de nageoire (les Tropheus - encore
eux - par exemple).
Il est donc important de
connaître le caractère de l'espèce que l'on souhaite
acquérir pour savoir si son introduction dans le bac peut être
envisagée avec toutes les chances de succès. Par exemple,
il est faux de croire que l'on peut introduire n'importe quel M'buna dans
un bac en contenant déjà. Chaque espèce a son caractère
: Maylandia lombardoi est une espèce assez agressive alors
que Labidochromis caeruleus est beaucoup plus calme. Labidochromis
chisumulae et certains "elongatus" sont à surveiller avec attention.
Des petites espèces comme les Cynotilapia ou Pseudotropheus
"Kingsizei" (que mon ami Patrick Tawil a surnommé "Poulpican"
du nom de ces petits diables de la mythologie bretonne) peuvent être
particulièrement virulentes, et sont capables de tenir tête
à des poissons beaucoup plus gros. C'est sûr cette règle
que l'on se base pour déconseiller l'introduction d'"Haplos" dans
des bacs de M'bunas, les premiers étant trop placides pour être
à l'aise au milieu d'une communauté de poissons plus rapides.
En Amérique Centrale,
Neetroplus nematopus est une véritable petite teigne, alors
qu'à taille équivalente des Thorichthys
sont beaucoup
plus calmes. Dans le lac Tanganyika on connaît bien les espèces
du groupe "brichardi" capables de faire fuir n'importe quel poisson
; il faut avoir été attaqué une fois par un Neolamprologus
ocellatus pendant un nettoyage de vitre pour comprendre à quel
point ces petits monstres ont du courage ; quant aux Julidochromis,
aucun prédateur n'arrive à approcher d'un couple surveillant
ses jeunes.
Nous pouvons inclure dans
ce paragraphe tous les problèmes liés à l’occupation
simultanée du même biotope, et plus particulièrement
des zones sableuses, puisqu'en l'absence de repères, les territoires
y sont plus difficiles à délimiter. Ce genre de problème
se rencontre fréquemment chez les Cichlidés du lac Tanganyika.
Souvent, une espèce est dominante sur la zone sableuse au détriment
des autres : des
Ophthalmotilapia peuvent empêcher une bonne
maintenance de
Xenotilapia simplement parce que le mâle Ophthalmotilapia
entretiendra un grand cratère ; mais ce mâle peut parfaitement
lui-même être dérangé par une colonie de conchylicoles...
Si l'on souhaite élever ces trois types d'espèces ensemble
et correctement, il faudra disposer d'un bac suffisamment spacieux pour
que des territoires distincts puissent être constitués et
matérialisés au moyen de quelques roches. Cette recommandation
vaut également pour la maintenance de plusieurs espèces conchylicoles
dans le même aquarium. Quant à la cohabitation de plusieurs
espèces de "longues pelviennes" dans le même bac, je ne peux
que la déconseiller dans des bacs de taille normale (jusqu'à
1000 litres)
Les espèces pétricoles
ne donneront pas lieu à de tels soucis car elles délimitent
plus facilement leurs territoires. Toutefois, il est souvent utile de réaliser
des amas rocheux distincts pour que les domaines soient mieux définis.
Un nouveau critère
de choix de nos poissons sera ainsi de savoir si l'espace dont ils disposeront
leur permettra de laisser libre cours à leurs habitudes comportementales
naturelles.
Incompatibilités
morpho-chromatiques :
Ce type d'incompatibilité
est lié au fait que des poissons trop proches morphologiquement
et/ou chromatiquement auront tendance à s'hybrider. Mais, attention,
le fait d'avoir dans le même aquarium des poissons très distincts
ne signifie pas que l'on évitera toute hybridation. Le meilleur
exemple dont je me souvienne est une reproduction obtenue entre un mâle
Placidochromis milomo et une femelle
Nimbochromis polystigma
! On ne peut pourtant pas dire qu'il y ait une quelconque ressemblance
entre les deux espèces ! J'avais élevé deux jeunes
pour voir à quoi "cela" pouvait ressembler et, par provocation,
je les avais apportés à une bourse de l'AFC à Orsay.
J'ai trouvé preneur !!! Mais j'ai refusé de les vendre (je
les ai même sacrifiés immédiatement en voyant que ce
genre de " chose " pouvait attirer !). Je ne vous dis pas la réaction
des personnes intéressées…
J
Nous partirons du principe
que vous souhaitez maintenir des poissons dans de bonnes conditions et
de façon à
préserver la pureté de la souche
pour, éventuellement, en faire profiter quelques amis.
Il faut donc s'interroger
sur le pourquoi du comment des hybridations.
L'Evolution a créé
ce que l'Homme appelle des espèces, ces espèces sont issues
de lignées évolutives distinctes. En schématisant,
cela pourrait ressembler à un arbre aux multiples ramifications
; le tronc étant la vaste famille des Cichlidés puis les
branches se divisent, se ramifient pour aboutir à une espèce,
voire à une variété géographique.
Le principe de la maintenance
réussie est d'éviter de faire cohabiter des espèces
issues de la même " grosse branche ".
Prenons un exemple : les
Neolamprologus forment une branche maîtresse qui se divise
en plusieurs petites branches parmi lesquelles on peut distinguer le groupe
brichardi et le groupe des "cylindriques" (leleupi, pectoralis,
cylindricus et j'en oublie). L'hybridation entre un brichardi
et un "cylindrique" a peu de chance d'avoir lieu car les espèces
sont bien différentes morphologiquement ; en revanche, il ne devrait
pas vous venir à l'idée de faire cohabiter deux espèces
issues du groupe brichardi ou deux espèces issues du groupe
des "cylindriques". Le plus souvent (et même si on trouve toujours
des exceptions), les poissons ont tendance à vouloir se reproduire
avec un partenaire correspondant le mieux à celui que la Nature
lui a octroyé. Cela signifie que des poissons maintenus en couple
ou en groupe auront beaucoup moins de chances de s'accoupler avec des poissons
d'une autre espèce que s'ils sont maintenus par individus isolés.
J'ai bien dit "moins de chances", je n'ai pas dit "impossible" ! En l’absence
d'un partenaire conspécifique des poissons "célibataires"
auront tendance à s'hybrider beaucoup plus facilement.
Les incompatibilités
chromatiques doivent donc être soigneusement étudiées
pour réaliser une population cohérente. Chez les M'bunas
par exemple, nombreuses sont les espèces "éloignées"
qui se ressemblent pourtant plus ou moins. Il conviendra de réaliser
une population en veillant à éviter de faire cohabiter des
espèces dont les femelles sont chromatiquement proches, même
si leurs mâles respectifs sont bien différenciés (et
inversement : femelles différenciées, mâles ressemblants).
Exemple : le mâle Pseudotropheus "Daktari" est bien différent
du mâle Pseudotropheus "Msobo Magunga", mais leurs femelles
sont toutes les deux jaunes : il y a bien risque potentiel d'hybridation.
De même, les femelles Apistogramma d'un même groupe
se ressemblent toutes comme deux gouttes d'eau...
La
même erreur est possible avec Pseudotropheus saulosi et P.
demasoni : ce sont alors les mâles qui se ressemblent.
A l'inverse, dans le lac
Tanganyika, deux espèces peuvent apparaître similaires aux
yeux d'un néophyte comme Neolamprologus tretocephalus et
Cyphotilapia frontosa ; elles auront pourtant bien des difficultés
à s'accoupler dans la mesure où leur processus reproducteurs
sont radicalement différents (ponte sur substrat pour l'une et incubation
buccale pour l'autre), montrant qu'une convergence chromatique n'est pas
forcément liée à une même origine phylogénétique.
Même si l'hybridation
n'est pas systématique, l'aspect assez semblable de certaines espèces
peut conduire à des problèmes plus ou moins perceptibles
par l'aquariophile. Dans le cas de deux mâles plutôt ressemblants,
il arrive que l'un des deux domine tellement l'autre que toute reproduction
de ce dernier en est perturbée ; c'est fréquemment une raison
d'échec de pontes. Evidemment, le problème poussé
à son extrême peut conduire à une hybridation.
Un autre exemple pouvant
regrouper l'ensemble des problèmes est celui des "suiveurs bleus"
du Malawi (Cyrtocara moorii, Protomelas annectens, Placidochromis phenochilus,
P. electra et Otopharynx selenurus). Bien qu'appartenant à
quatre genres différents, ces espèces ont de nombreux points
communs qui font que leur cohabitation est à fort potentiel d'hybridation
: 1/ ils occupent la zone sableuse où ils suivent les grandes espèces
fouilleuses de sable, profitant du nuage de particules soulevées
pour s'alimenter ; 2/ ils sont bleus ; 3/ ils ont une morphologie relativement
proche ; 4/ leur degré d'agressivité est assez semblable.
On comprendra aisément que des hybridations puissent facilement
avoir lieu, ce qui a été le cas notamment entre C. moorii
et P. electra.
Conclusion :
Je sais qu’ils sont nombreux,
ceux qui aimeraient que je leur indique des populations types. Il n'en
est nullement question. Chacun a ses goûts, ses possibilités
financières, son aquarium ; avec cela il doit composer la population
qui lui conviendra le mieux. Je n'ai fait que donner des directions, des
indications, pour éviter des erreurs grossières. C'est à
chacun maintenant de réfléchir à ce que la population
de son aquarium évolue au mieux pour le bien des êtres vivants
qu'il héberge. Le propre de la pédagogie n'est pas de donner
des solutions mais de faire comprendre comment trouver ces solutions. Du
moins, c'est comme cela que je vois les choses. Ne soyons pas le consommateur
de notre aquarium mais un acteur de sa réussite.
Evidemment pour en être
un acteur il faut s'en donner les moyens, ne pas hésiter à
lire de bons livres, consulter de bons sites Web ou interroger des aquariophiles
expérimentés. Tout cela vous aidera à vous forger
votre propre expérience, et c'est bien cela qui est indispensable.
Pour résumer, s'il
est une règle de base que je pourrais vous donner c'est de ne jamais
craquer pour un poisson, de toujours réfléchir AVANT. Voici
les questions primordiales à se poser : mon eau est-elle conforme
aux besoins de cette espèce ? La population de mon bac n'est-elle
pas déjà trop importante ? Les nouveaux venus ne risquent-ils
pas de se faire massacrer parce qu'ils ne trouveront pas de place dans
le bac ? Ai-je déjà des espèces avec lesquelles ils
risquent d'entrer en concurrence (dans l'espace, le comportement, la forme
ou la couleur) ?
A vous de jouer.
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