La grande variété des "Haplos" du Malawi publié dans AP n°42

 

Introduction

Le lac Malawi abrite une des communautés piscicoles les plus importantes et les plus variées. On recense actuellement environ 700 espèces endémiques (c'est à dire qui vivent uniquement dans ce lac) et, parmi elles, de très nombreuses espèces ne se rencontrent que dans de très petites zones. Ces Cichlidés, leur évolution, leur éthologie, sont la source de nombreuses études. Nul doute que nous avons encore beaucoup à apprendre sur eux, en espérant que nous saurons préserver leur milieu. Les Cichlidés du Malawi se divisent en deux groupes principaux.
- Les M'bunas d'une part, poissons de taille modérée essentiellement pétricoles, très colorés et aux comportements variés ; Ils sont actuellement très "à la mode" dans les milieux cichlidophiles.
- Les Non-M'bunas d'autre part qui regroupent de nombreux genres tels que Aulonocara, Lethrinops et "Haplochromis". Ce sont ces derniers que nous allons découvrir ici.
Tout d'abord, rayons de notre vocabulaire ce nom de Haplochromis. Il ne doit plus s'appliquer qu'à quelques espèces issues du lac Victoria et de ses environs. Depuis 1989, Eccles et Trewavas ont publié une révision des "Haplochromis" du lac Malawi. Plusieurs genres nouveaux ont été décrits et/ou réhabilités. Exit donc Haplochromis et vive les Copadichromis, Protomelas, Mylochromis etc..
 
 
Quant au genre Cyrtocara, un temps attribué à tous nos "Haplos", il ne doit plus maintenant s'appliquer qu'à une seule espèce, C. moorii, le bossu du Malawi. Pour des raisons pratiques et comme je n'aime pas le terme de "non-m'buna", trop général, j'utiliserai ici le terme de "Haplos" pour regrouper ces espèces dont sont exclues les Aulonocara et Lethrinops. S'il n'a aucune valeur scientifique, il a au moins le mérite d'être compris de tous !
Si les M'bunas sont variés, les "Haplos" le sont certainement encore plus, même si le nombre d'espèces est moins grand. Ils ont su s'adapter et évoluer de façon à occuper toutes les niches écologiques disponibles dans le lac, depuis les zones peu profondes jusqu'aux abysses, depuis les zones rocheuses, jusqu'à la pleine eau en passant par les zones sablonneuses. Diversité des habitats, des formes, des comportements alimentaires.
 
 

Qui sont-ils ?

Il n'est pas question de passer en revue toutes les espèces. Rapidement je souhaiterais malgré tout faire un rapide tour d'horizon des principaux genres maintenus en captivité
 
Aristochromis : A. christyi n'a jamais fait partie des "Haplos" mais il s'en rapproche énormément, au moins par sa maintenance en aquarium, c'est pourquoi il est intégré à cette liste. C'est un grand poisson prédateur, sa gueule busquée est tout à fait caractéristique. C'est un prédateur de M'bunas capable de couper en deux un poisson d'une douzaine de centimètres d'un seul coup de gueule ! A réserver aux bacs contenant d'autres grandes espèces.
Buccochromis. Ce genre regroupe quelques espèces de grande taille, souvent 30 à 40 cm. Ce sont des prédateurs de petits poissons. La maintenance ne peut s'envisager dans des bacs de moins de 800 litres.
Champsochromis. Ces poissons, également de grande taille, sont taillés pour la course. Leur corps est très allongé et cylindrique. C. caeruleus a été surnommé "Trout Cichlid" ! Espèces prédatrices à réserver aux grands aquariums.
Cheilochromis : Ce genre ne compte qu'une espèce, C. euchilus, parfois intégrée au genre Chilotilapia. La particularité est constituée par une hypertrophie labiale due à son mode alimentaire (les lèvres font "ventouse" dans les interstices rocheux, permettant de prélever des animalcules divers qui s'y cachent). Cette hypertrophie disparaît au moins partiellement chez les sujets d'élevage.
 
Copadichromis. Genre regroupant un grand nombre d'espèces planctophages. Ils constituent avec le genre Nyassachromis un groupe écologique appelé "Utaka". Ils vivent en pleine eau et se rapprochent des côtes pour se reproduire. Ils se nourrissent de plancton capturé grâce aux mâchoires protractiles. Si les femelles sont généralement peu colorées, les mâles arborent souvent une coloration bleue très intense. Malgré leur taille relativement réduite (une quinzaine de centimètres), ils nécessitent des bacs relativement spacieux (300 à 400 litres) car ils aiment vivre en bancs et ce sont de grands nageurs évoluant en pleine eau.

Cyrtocara : Il est bien connu le magnifique C. moorii, avec sa coloration bleue et sa grosse bosse. C'est un habitant des fonds sablonneux. Il suit les grandes espèces filtreuses de substrat, telles que Fossorochromis ou Taeniolethrinops, et se nourrit des particules mises en suspension par son hôte. Il a ainsi un territoire mobile. C. moorii fait partie, en compagnie de Otopharynx selenurus, Placidochromis phenochilus, Protomelas annectens et Placidochromis electra, de ce que l'on nomme les "suiveurs bleus".
 
 
Dimidiochromis. D. compressiceps est la "star" du genre. Son corps fortement comprimé latéralement et sa gueule largement fendue ne laissent aucun doute quant à ses habitudes alimentaires : Il chasse à l'affût au milieu des "champs" de vallisnéries. Fort heureusement son comportement en aquarium est très pacifique, même s'il ne dédaignera pas consommer un alevin de temps à autre. Avec une vingtaine de centimètres, un bac de 500 litres conviendra parfaitement.
Fossorochromis : Le genre ne compte qu'une espèce, F. rostratus, magnifique poisson à la coloration bleu nuit métallique des mâles. Ils vivent en grands bancs dans les zones sablonneuses où ils fouillent le substrat pour se nourrir des organismes qui s'y dissimulent. Il est capable de s'enfouir dans le sable pour échapper à un prédateur ou à la senne des pêcheurs. Dans un bac d'élevage, vous pouvez brusquement vous retrouver face à un aquarium "vide" en voulant prélever quelques jeunes ; ils sont tous dans le sable. C'est une grande espèce, parfois plus de 30 centimètres, nécessitant de grands aquariums.
Hemitilapia : H. oxyrhynchus est poisson très calme se nourrissant des algues poussant sur les feuilles de Vallisneria. Comme A. christyi il n'a jamais fait partie des "Haplos".
 
Mylochromis : (Maravichromis est un synonyme junior). C'est un genre assez hétérogène dont la caractéristique est de présenter une ligne oblique longitudinale, pleine ou constituée d'une succession de points. La taille moyenne du genre avoisine les 20 centimètres. Il n'y a pas de forme de corps typique des Mylochromis, certains ont une forme très allongée signe d'un comportement piscivore, d'autres au contraire sont plus haut de corps et se nourrissent d'invertébrés divers, d'autres enfin avec un museau allongé fouillent dans le sable. La taille de l'aquarium sera fonction du comportement et de la taille de l'espèce maintenue.

Nimbochromis:Ce genre est bien connu des aquariophiles et les espèces sont fréquemment disponibles. Ils se caractérisent par une coloration à base de grandes taches latérales faisant penser à des nuages (d'où le nom de genre). Sur ces grandes taches peuvent se superposer chez certaines espèces une multitude de petits points brun orangé. Les mâles dominants perdent ces taches et présentent une coloration bleu-vert métallique. Ce sont des espèces prédatrices en milieu naturel. N. livingstonii a l'habitude de se coucher sur le flanc pour faire le mort, quand un petit poisson s'approche de ce "cadavre", il ressuscite brusquement et avale l'inconscient. N. linni guette les jeunes M'bunas dans les failles et les aspire avec sa bouche en forme de trompe dès qu'ils sortent de leur refuge. Un aquarium de 400 à 500 litres peut leur suffire. Il faut toutefois faire une exception pour N. fuscotaeniatus plus grand et plus remuant qui nécessite un bac plus grand. Cette dernière espèce est intermédiaire avec les grandes espèces du genre Tyrannochromis.
 

Nyassachromis : Le genre fait également partie du groupe des Utakas en compagnie des Copadichromis. A l'origine le genre était restreint à quelques espèces peu connues. Par la suite Konings a préconisé d'intégrer au genre certains Copadichromis tels que C. boadzulu, C. eucinostomus sur la base du patron de coloration et du comportement reproducteur (constructeurs de nids).
Otopharynx : Encore un genre bien hétérogène dont la caractéristique est la présence de trois taches latérales. L'espèce la mieux connue est certainement O. lithobates du sud du lac, une espèce cavernicole de taille modérée et convenant très bien à des aquariums assez petits (200 litres)
Placidochromis : Nous avons déjà évoqué deux espèces (P. electra et P. phenochilus) comme "suiveurs bleus" (cf. Cyrtocara). Une autre espèce est également rencontrée assez fréquemment dans le commerce, il s'agit de P. milomo qui a la même particularité anatomique que Cheilochromis euchilus : des lèvres hypertrophiées. Il a besoin d'un aquarium assez grand (400 à 500 litres).
Protomelas : Encore un vaste genre. P. annectens a été évoqué en même temps que Cyrtocara moorii. Le genre comporte également des espèces à forte hypertrophie labiale (P. ornatus) mais les espèces les plus fréquemment rencontrées sont les "steveni". Ce nom n'a aucune valeur scientifique mais permet de regrouper un certain nombre d'espèces très colorées, décrites ou non : Protomelas taeniolatus, P. fenestratus, P. sp "steveni Taïwan Reef" etc.. Le poisson le mieux connu est certainement le "Boadzulu" (à ne pas confondre avec Copadichromis boadzulu) qui est la variété de Namalenje de P. taeniolatus (Voir article "Le Boadzulu") à la magnifique coloration rouge et bleue. Cette espèce pétricole présente de nombreuses formes chromatiques et il est important de connaître exactement la forme dont on est en possession pour éviter la diffusion éventuelle de sujets croisés ou hybridés. Dans ce genre certaines espèces peuvent atteindre de bonnes tailles comme P. spilonotus

Sciaenochromis : L'espèce la plus fréquente dans nos aquariums est S. fryeri fréquemment distribuée sous "Haplochromis ahli" (S. ahli est une espèce proche mais différente). C'est un magnifique poisson fusiforme bleu électrique. Malgré son comportement prédateur de petits poissons, il peut être maintenu sans problème dans des aquariums de taille moyenne.

Stigmatochromis : Ce sont des poissons prédateurs d'une vingtaine de centimètres. Il sont assez peu courant en captivité.

Tyrannochromis : Le genre ne comporte que deux espèces (T. nigriventer et T. macrostoma) de grande taille (35 à 40 cm). Ce sont des prédateurs qui nécessitent des bacs de grand volume. T. nigriventer est fréquemment distribué sous le nom de "macrostoma", la différence entre les deux espèces réside essentiellement dans la longueur du pédicelle maxillaire supérieur.

La Maintenance

L'eau : La qualité de l'eau du lac Malawi est assez particulière puisqu'elle est douce (TAC =12 °f) et basique (pH 8,2). Ces deux valeurs sont assez difficiles à maintenir conjointement en aquarium, aussi préconise-t-on une eau au TAC plus élevé de façon à avoir un pH plus stable. Fort heureusement les Cichlidés s'y adaptent fort bien. Il est impératif de ne pas descendre le pH à des valeurs inférieures à 7,5. Il faudra veiller particulièrement au taux d'oxygène dissous qui doit être proche de la saturation, ce qui contribue à la stabilisation du pH. Les changements d'eau devront être fréquents (environ ¼ du volume par semaine) de façon à éviter l'accumulation des nitrates.

Le décor : La très grande majorité des "Haplos" ne sont pas des poissons pétricoles. Le décor que nous leur offrons devra en tenir compte. Certes quelques amas rocheux seront les bienvenus car ils offriront des refuges aux femelles en incubation toujours plus ou moins assaillies par les mâles. Toutefois, ces amas ne constitueront pas l'essentiel du décor. Les grandes plantes seront très bien acceptées à partir du moment où elles ne sont pas posées à l'endroit précis où un grand mâle veut établir son site de ponte ! On pourra choisir des Vallisneria, Crinum, Cryptocoryne balansae qui, tout en donnant une touche de couleur, permettent de délimiter des territoires et servent également d'abris quand la plantation est bien dense. Il sera également possible d'introduire de racines à la condition expresse qu'elles ne dégagent plus de tanins, donc des racines ayant séjourné TRES longtemps dans l'eau. Un décor "type" pourra donc être constitué de deux amas rocheux asymétriques aux extrémités de l'aquarium, la zone centrale étant occupée par une vaste plage de sable parsemée de quelques roches et/ou racines et de grandes plantes. Les "Haplos" évolueront essentiellement au niveau de la zone sableuse et de la pleine eau. Les zones rocheuses seront occupées par les femelles en incubation, mâles dominés et espèces pétricoles comme les Aulonocara cavernicoles.

La cohabitation : Les "Haplos" ont un degré d'agressivité très nettement inférieur à celui des M'bunas issus du même lac. On évitera donc d'introduire des "Haplos" dans un bac de M'bunas où ils seront trop stressés pour être en parfaite santé. Par contre, il est possible d'introduire quelques M'bunas choisis parmi les espèces les moins turbulentes dans un aquarium à population majoritairement constituée d'"Haplos". Il sera également possible de leur adjoindre une espèce d'Aulonocara ainsi que des Lethrinops proches parents des "Haplos" et vivant dans les grandes étendues sablonneuses. Ces poissons sont souvent négligés car souvent peu colorés ; pourtant certaines espèces sont particulièrement belles et ils cohabitent très bien avec nos "Haplos".
Le choix des poissons dépendra de deux facteurs.
1/ D'une part la taille du bac. Hors de question de maintenir de grandes espèces dans un bac de 250 litres.
2/ D'autre part la compatibilité entre les différentes espèces. Une population cohérente sera composée d'espèces bien distinctes. La meilleure des solutions étant de choisir des espèces appartenant à des genres différents de façon à éviter tout risque d'hybridation. Malgré cela on évitera des cohabitations telles que C. moorii, P. electra, P. phenochilus ou P. annectens qui, bien qu'appartenant à des genres différents se ressemblent beaucoup et s'hybrident occasionnellement. On évitera aussi la cohabitation de grandes espèces pouvant être tyranniques avec des espèces beaucoup plus calmes comme les Utakas. En fait le choix d'une population de Cichlidés (d'où qu'ils viennent) est toujours un problème épineux. L'expérience de l'aquariophile est primordiale dans ce domaine et chercher conseil auprès d'amateurs expérimentés n'est pas une déchéance quand la vie ou le bien-être des poissons est en jeu.

La densité : Les "Haplos" supportent en général moins bien que les M'bunas de vivre dans un bac surpeuplé. Une base de maintenance dans un bac communautaire est de 4 litres d'eau par centimètre de poisson adulte. Cela n'est bien sûr qu'une base et peut être modulé.

Alimentation : Elle devra être fonction du régime alimentaire naturel des poissons, certains étant strictement piscivores, d'autres essentiellement végétariens, d'autres planctophages ou consommateurs de crustacés. Il est donc quasiment impossible de satisfaire tout le monde dans un bac communautaire ! Heureusement ils s'adaptent assez bien aux nourritures usuelles. Ainsi les mélanges "maison" font merveille pour un grand nombre d'espèces alors que moules entières et grosses crevettes entières décortiquées rempliront l'estomac des monstres prédateurs. N'oublions pas non plus les nourritures en granulés spéciales pour Cichlidés, non seulement elles varient le menu mais elles sont un apport intéressant en vitamines et acides aminés divers.

La reproduction : Tous les Cichlidés du lac Malawi sont des incubateurs bucco-pharyngiens maternels (sauf un Tilapia pondeur sur substrat). Il y a donc, semble-t-il, une homogénéité du comportement reproducteur. En fait, si l'on étudie les choses plus en détail, on se rend compte qu'il y une grande variété de comportements. Cette variété réside essentiellement dans la phase de ponte. Certains pondent sur un substrat, sans aucun préparatif alors que d'autres vont s'ingénier à construire des châteaux de sable ou de simples cratères. De rares espèces pondent même en pleine eau, un peu à la manière des Cyprichromis du Tanganyika. Après la ponte, la femelle va se retirer pour incuber une vingtaine de jours. En fonction de leur habitat de prédilection, ils pourront se retirer derrière des roches ou former un banc en pleine eau ou vaqueront dans les immensités sableuses (ce qui, on en conviendra est assez irréalisable dans un aquarium de 500 litres !). En aquarium quelques roches permettent à la femelle incubante de se soustraire des ardeurs masculines. Les alevins sont lâchés au bout de trois semaines, parfois plus, tout dépend en fait du degré de sécurité. En bac spécifique, la femelle sentant ses alevins en sécurité les libérera rapidement. A l'inverse en bac communautaire elle peut les garder beaucoup plus longtemps pour les soustraire à la prédation. Il est parfois possible, même en bac d'ensemble, d'assister au spectacle d'une nuée d'alevins repris en bouche par la femelle au moindre danger : le métro à 18 heures ! Les jeunes "Haplos" ne sont pas des poissons qui se dissimulent naturellement dans le décor ; au contraire, ils évoluent davantage en pleine eau ou au-dessus du substrat. En conséquence leurs chances de survie en bac d'ensemble sont quasiment nulles et il faudra prévoir de les récupérer rapidement pour les placer en bac d'élevage. Pour cela la meilleure méthode est de récupérer la femelle incubante vers le dix-huitième jour pour lui faire cracher ses alevins. Ceux-ci sont assez gros, un bon centimètre, et aptes à se débrouiller seuls. Compte tenu de leur taille, leur alimentation ne pose aucun problème : nauplies d'artémias au début puis rapidement on peut passer à une nourriture moins spécifique. La seule règle est la variété des menus pour obtenir une croissance régulière et harmonieuse.

Conclusion : Le comportement des "Haplos" est certes parfois moins intéressant à observer que celui des M'bunas mais leurs couleurs, leurs formes variées constituent un spectacle éblouissant. Ils seront un ravissement pour ceux qui, vous rendant visite, contempleront votre bac peuplé de sujets de plus de vingt centimètres. Ne vous étonnez pas alors de vous entendre dire : " ce sont des poissons d'eau de mer ? ".

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